Laubard Charlotte, Boudry Pauline, Lorenz Renate, Lepecki André, Burki Marianne, Moving backward : Pauline Boudry/Renate Lorenz, cat. d’exp., Pavillon suisse, Venise [11 mai – 24 novembre 2019], Milan, Skira, 2019
→Bordowitz Gregg, Guy Laura, Spade Dean, Pauline Boudry/Renate Lorenz: I want, cat. d’exp., sous le nom de Portrait of an Eye au Kunsthalle, Zurich [11 novembre 2015] ; sous le nom de In Memoriam to Identity au Nottingham Contemporary, Nottingham [10 octobre – 31 décembre 2015], Berlin, Sternberg Press, 2016
(No)time, Frac Bretagne, Rennes, 12 février – 19 septembre 2021
→The Right to Have Rights, Neuer Berliner Kunstverein, Berlin, 10 mars – 8 mai 2020
→Telepathic Improvisation, Centre culturel Suisse, Paris, 13 janvier – 25 mars 2018
Vidéastes et plasticiennes suisse et allemande.
Pauline Boudry et Renate Lorenz vivent et travaillent ensemble depuis 2007 à Berlin. Qualifiée d’« archéologie queer » par le théoricien et activiste Mathias Danbolt, leur pratique consiste à exhumer des objets du passé (des figures, des événements, des documents, des archives, des photographies, etc.) et à leur donner une forme contemporaine par le biais de performances filmées pensées pour la caméra, elles-mêmes prises dans un dispositif scénographique ou une installation. Ces éléments extraits du passé forment des contre-récits militants, queer, féministes, que l’histoire de l’art et des idées, occidentale et dominante, a occultés. Mis en lumière, ils participent à l’écriture de généalogies non linéaires et plurielles des minorités sexuelles, de genre et de race dans lesquelles celles et ceux concerné·e·s peuvent se reconnaître.
Dans l’un de leurs premiers films, Normal Work (2008), elles s’intéressent aux autoportraits et portraits à forte connotation érotique et subtilement sadomasochiste de la domestique britannique du XIXe siècle Hannah Cullwick. Werner Hirsch y rejoue ces clichés en tenue victorienne, alors que certains éléments anachroniques, comme une représentation de deux butch-drag en arrière-plan, viennent perturber l’idée d’une citation historique littérale ou d’un simple reenactment. P. Boudry et R. Lorenz s’attachent à la performativité de la performance, c’est-à-dire à ses effets dans le réel, qui permettrait une sorte d’agency (capacité d’agir). Elles voient ainsi en ces « liens transtemporels », tels que les qualifie M. Danbolt, la possibilité d’écrire un futur queer, dans une dimension utopique proche de celle défendue par le chercheur états-unien José Esteban Muñoz. Systématiquement, leurs films sont pris dans un dispositif où la projection et l’installation dialoguent, se répondent : les frontières entre l’espace de représentation du film et celui dans lequel il est accueilli se brouillent pour ne former qu’une seule entité. Les deux vidéastes s’entourent de toute une famille choisie d’« ami[.e.]s du passé » (M. Danbolt) pour penser leur œuvre (Pauline Oliveros (1932-2016), Kathy Acker, Annie Jones, Jean Genet…), d’artistes et de performeur·se·s avec qui elles collaborent (Werner Hirsch, Ginger Brooks Takahashi (1977-), Sharon Hayes (1970-), Yvonne Rainer (1934-), MPA (1980-), Peaches (1966-)…), ainsi que de théoriciennes et théoricien·ne·s qui pensent leur travail et le monde (M. Danbolt, Antke Engel, Nana Adusei-Poku…).
En 2019, elles représentent la Suisse à la 58e Biennale de Venise avec Moving Backwards. Autrement appelé « abstract club », le pavillon ressemblait de l’extérieur à certains clubs berlinois : une porte et un sas marqués par une histoire postindustrielle, un bar extérieur placé à l’issue de l’installation, entouré de deux Wig Pieces (s’apparentant formellement à des toiles, celles-ci sont composées exclusivement de cheveux synthétiques qui rappellent l’univers du drag, rendant toutefois toute identification genrée impossible). À l’intérieur, en face d’une scène sur laquelle se tient le public, est projeté un film dans lequel cinq performeur·se·s dansent à rebours dans des univers très différents. Un journal rassemblant différentes lettres adressées au public, écrites par des artistes, des penseur·se·s, des activistes, est distribué à la sortie. Cette pièce présente autant de manières de faire communauté que de pratiques de résistance face aux mouvements réactionnaires récents.
Depuis les années 2000, leur travail est exposé en Europe et aux États-Unis aussi bien à travers des expositions personnelles que dans des expositions collectives. Outre les catalogues et monographies dédiés à leur pratique artistique, Renate Lorenz publie en 2012 Queer Art, un essai sur l’anachronisme fécond et inhérent à l’art queer et dont le travail du duo est une manifestation exemplaire.