Prix AWARE

Nil Yalter
Nommée au Prix d’honneur 2018

Courtesy Nil Yalter

Nil Yalter

La fabrique des identités – celles que nous nous forgeons comme celles qui nous sont assignées – constitue le cœur de la pratique de Nil Yalter. Depuis son arrivée à Paris en 1965 et ses premières expositions au mitan des années 1970 – notamment au musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 1973 –, elle développe une œuvre où la force de ses auscultations sociologiques du réel s’associe à une grande liberté formelle – du film expérimental à l’animation générée par ordinateur, du relevé documentaire aux campagnes d’affichage dans l’espace public. Ses vidéos, peintures, installations multimédias et dessins placent tous l’humain au centre, en mettant notamment en mouvement les appartenances culturelles, les effets de migrations et la question des femmes. Une formule, empruntée au poète turc Nâzim Hikmet (1901-1963), résume sa démarche et sa manière d’observer le monde : « C’est un dur métier que l’exil. »

Nil Yalter - AWARE Artistes femmes / women artists

Nil Yalter, Topak Ev, 1973, armature en métal, feutre, peau de mouton, peinture, cuir, texte, techniques mixtes, vue de l’exposition «  Nil Yalter, 1973-2015 », Verrière-Fondation d’entreprise Hermès, Bruxelles, 2015, Courtesy Nil Yalter &  la Verrière-Fondation d’entreprise Hermès, © Photo : Isabelle Arthuis

Nil Yalter - AWARE Artistes femmes / women artists

Nil Yalter, Histoire de peau, 2003, vidéo interactive, Courtesy Nil Yalter, © Nil Yalter

Indéniablement politique – au sens où ses projets examinent relations et trajectoires au sein d’un espace commun codifié et complexe (Paris Ville Lumière, 1974 ; La Roquette, Prison de Femmes, 1974 ; Rahime, Kurdish Women from Turkey, 1979 ; Ris-Orangis, 1979) –, l’œuvre de Nil Yalter s’intéresse également à la sphère intime. Dans Orient Express (1976), ensemble de photographies, dessins, polaroïds et film, elle enregistre ses états d’âme et ses pensées lors d’un trajet en train entre Paris et Istanbul, deux pôles complémentaires de son existence. Dans d’autres projets, elle donne à voir l’intimité de personnes choisies, proposant des récits alternatifs, considérés comme mineurs. À ce titre, l’installation Le Chevalier d’Éon, réalisée en 1978 et exposée dans le cadre du prix AWARE pour les artistes femmes 2018, constitue un jalon emblématique. Œuvre véritablement pionnière quant à la représentation du (trans)genre, elle réunit film, photographies et peintures autour d’un double récit croisé : celui du chevalier d’Éon (1728-1810), figure aux identités multiples, espion de Louis XV et dame de cour d’Élisabeth Ire de Russie, et celui d’un ami de l’artiste se transformant en femme devant sa caméra Portapak. Au son d’une musique Grand Siècle composée par Domenico Scarlatti, dans un jeu infini de glaces et de reflets – ces deux éléments s’insérant à merveille dans le décor grandiose de l’hôtel de Soubise qui abrite aujourd’hui le musée des Archives nationales –, la vidéo documente cette métamorphose et cet état d’androgynie. Mouvements multiples de mise en abyme et circulation des regards créent ainsi un moment hypnotique où nous regardons ce personnage, entre intimité et fabrication de soi, nous scruter à son tour. Calmement, avec grand respect, Nil Yalter nous tend un miroir où refléter nos questionnements et nos certitudes.

 

Artiste autodidacte française d’origine turque, Nil Yalter (1938) arrive à Paris en 1965. Elle réalise sa première exposition personnelle en 1973 à l’ARC, au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Son œuvre, récemment redécouverte, a fait l’objet d’une rétrospective en 2016 à l’Arter Space for Art (Istanbul), ainsi que de nombreuses expositions personnelles, notamment à La Verrière – Fondation d’entreprise Hermès (Bruxelles), à la MOT International (Londres) en 2015 et à la Galerie Hubert Winter (Vienne) en 2014. En 2016, le 49 Nord 6 Est – FRAC Lorraine (Metz) a consacré ses espaces à la première rétrospective de ses travaux en France. Ses œuvres font partie, entre autres, des collections de la Tate Modern, de l’İstanbul Modern, du musée national d’Art moderne – Centre Georges-Pompidou, de Paris musées, du Museum Ludwig (Cologne) et du CNAP.

Rapporteur : Clément Dirié, historien et critique d’art, commissaire d’expositions, directeur éditorial de JRP|Ringier

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