Critique

Elles x Paris Photo : La diversité à l’épreuve du marché

26.11.2018 |

Paris Photo 2018, vue du secteur « Éditions », Photo : © Florent Drillon

L’immense affiche signée Mickalene Thomas qui se déploie sur la façade du Grand Palais pour la vingt-deuxième édition de Paris Photo donne le ton : la foire se veut plurielle au regard des genres et des cultures.

Elles x Paris Photo : La diversité à l’épreuve du marché - AWARE Artistes femmes / women artists

Affiche officielle de Paris Photo 2018. Visuel : Mickalene Thomas, Calder Series #2, 2013, photographie couleur. © Mickalene Thomas. Courtesy Mickalene Thomas et galerie Nathalie Obadia, Paris, Bruxelles.

Cette image de la série Calder (2013) met en scène une femme noire dans un décor saturé de motifs colorés faisant référence à l’œuvre du sculpteur éponyme, célèbre pour ses mobiles. L’artiste afro-américaine (née en 1971) propose ici un commentaire éminemment politique sur l’invisibilité des corps racisés à l’intérieur d’une histoire de l’art traditionnellement exclusive, sur le plan des acteur·rice·s comme des représentations. Une belle opération de communication, si ce n’est que, de manière ironique, le grand logo blanc de la foire masque une partie de la silhouette du modèle dont seuls émergent le visage et les membres.

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Julia Margaret Cameron, Circe (Kate Keown), 1865, tirage sur papier albuminé, Courtesy Hans P. Kraus Jr. Inc., New York

Au-delà de l’identité visuelle ainsi mise en place, Florence Bourgeois et Christophe Wiesner, à la tête de la manifestation, tiennent leurs engagements quant aux contenus. En association avec le ministère de la Culture dans le cadre du chantier sur l’égalité femmes-hommes, il·elle·s dédient cette année un parcours aux femmes photographes. Intitulé Elles x Paris Photo, il a été conçu par Fannie Escoulen, commissaire d’exposition, diplômée de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles et ex-directrice adjointe de l’espace Le Bal. Ce parcours met en lumière 100 œuvres ayant pour unique trait commun d’avoir été réalisées par des femmes. Présentées comme des découvertes ou des redécouvertes, elles ont été choisies parmi les pièces exposées par 168 galeries et 31 éditeurs. Elles sont identifiées par un label coloré apposé sur les stands concernés.

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Foto Ada (Elemérné Marsovsky/Ada Ackermann), Sans titre, fin des années 1930 – début des années 1940, collage unique, Courtesy Robert Koch Gallery

Là encore, on doit saluer la volonté de diversité qui ressort de cette sélection. Comme le suggère F. Escoulen, il y a des périodes clés qui bénéficient d’une forte représentation : les avant-gardes des années 1930, avec Lucia Moholy ou Anna Barna, et le féminisme des années 1970, avec Ulrike Rosenbach ou Renate Bertlmann par exemple. Mais, dans l’ensemble, les œuvres varient par leurs ancrages esthétiques, historiques et géographiques. Pour le XIXe siècle, on retrouve la figure connue de Julia Margaret Cameron dont les délicats portraits demeurent un plaisir pour les yeux. Le champ du photocollage historique est merveilleusement incarné par Foto Ada (Elemérné Marsovsky/Ada Ackermann) dont le très beau plongeon s’est vendu dès l’ouverture. Pour la photographie de performance, citons Annegret Soltau et Jolanta Marcolla dont les travaux, encore trop confidentiels, méritent d’apparaître dans le parcours. Quant à l’abstraction, elle s’illustre notamment dans les œuvres récentes d’Ellen Carey : Polaroid monumentaux à l’esthétique minimale.

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Hilla Kurki, Woven, 2017, tirage pigmentaire, édition de cinq et deux épreuves d’artiste, © Hilla Kurki, Courtesy Gallery Taik Persons, Berlin

Ce parcours s’est vu complété par une journée de conférences, ou conversations, pour reprendre le terme désignant la programmation traditionnellement organisée pendant la foire à l’étage du Grand Palais. Le jeudi 8 novembre, la même F. Escoulen a réuni diverses actrices du monde de la photographie : universitaires, professionnelles des musées et du secteur de l’édition, artistes et théoriciennes, pour débattre de la question : « La femme, cette exception : une sous-représentation du genre dans la photographie ? » Malheureusement, si la variété des points de vue a contribué à enrichir le dialogue, elle a aussi engendré des propositions de qualité fort inégale, flirtant parfois avec l’autopromotion. Finalement peut-être aurait-il fallu laisser davantage de place aux artistes, dont les prises de parole ont été parmi les plus stimulantes.

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Léa Belooussovitch, Facepalm, Edna Roma, 2017, tirage sur satin duchesse, acier © Léa Belooussovitch, Courtesy Léa Belooussovitch & galerie Paris-Beijing, Paris

Sur ce point, il convient de noter l’attention portée à une jeune génération d’artistes internationales, tant lors des conversations qu’au sein du parcours. L’espace manque pour lister les travaux prometteurs repérés par F. Escoulen. Outre ceux de l’Iranienne Tahmineh Monzavi et de la Française d’origine marocaine Fatima Mazmouz, mis à l’honneur au cours de la journée, citons à titre d’exemples ceux de la Finlandaise Hilla Kurki et de la Française établie à Bruxelles Léa Belooussovitch. Dans Woven (2017), présenté par la galerie berlinoise Taik Persons, H. Kurki traite du deuil à travers l’expérience de la perte de sa sœur dont elle revêt les vêtements et habite le souvenir. Dans Facepalm, Edna Roma (2017), présenté par Paris-Beijing, L. Belooussovitch explore l’histoire sensible d’un geste simple, celui d’une main de femme cachant honteusement un visage coupable. À moins que ce geste ne traduise l’embarras ou l’accablement ?

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Guerrilla Girls, Dearest Art Collector, 1986, © Guerrilla Girls

S’il faut sans aucun doute se féliciter du travail accompli pour Elles x Paris Photo, la bataille pour une reconnaissance pleine et entière de tou·te·s les photographes de talent sans discrimination de genre est loin d’être gagnée. Notons que, parcours compris, seules 190 femmes figurent parmi les 887 photographes exposé·e·s, ce qui ramène leur proportion à environ 20 %. Certains stands, à l’image de ceux de Sage Paris, Daniel Blau, ou de celui, pourtant bien pensé, d’Art+Text Budapest, ne présentent aucune photographie prise par une femme. Tandis qu’un tract des Guerrilla Girls à destination des collectionneurs orne la quatrième de couverture de la petite publication Elles x Paris Photo se pose la question d’une responsabilité collective. À l’heure où la photographie a rejoint les produits de consommation, voire de spéculation, il est essentiel de lutter contre son uniformisation. Mais, au-delà des initiatives individuelles, seule une profonde réflexion sur les systèmes de valeurs, au premier chef desquels figure le marché de l’art, permettra, peut-être, d’insuffler une nouvelle forme de diversité.

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Pour citer cet article :
Joséphine Givodan, « Elles x Paris Photo : La diversité à l’épreuve du marché » in Archives of Women Artists, Research and Exhibitions magazine, [En ligne], mis en ligne le 26 novembre 2018, consulté le 28 mars 2024. URL : https://awarewomenartists.com/magazine/elles-x-paris-photo-la-diversite-a-lepreuve-du-marche/.

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