Gazbia Sirry, Life on the Embankment of the Nile (II), 1960, huile sur toile, dimensions inconnues, American University in Cairo, Le Caire, Courtesy the Rare Books and Special Collections Library, The American University in Cairo
Depuis le début du XXe siècle, en Égypte, les femmes sont reconnues comme des actrices importantes de l’art moderne. Parmi elles, Inji Efflatoun (1924-1989) et Gazbia Sirry (1925-2021) connaissent une grande notoriété. Chacune des peintres développe un style sensiblement différent, qui, dans les deux cas, évolue au fil de l’histoire de l’Égypte : traduisant d’abord l’enthousiasme de la révolution de 1952, il adopte des tonalités plus sombres pendant les années noires du nassérisme, jusqu’à aboutir à une peinture épurée qui laisse paraître le blanc de la toile. Les deux artistes partagent également des convictions féministes – sur un mode militant pour Inji Efflatoun et privé pour Gazbia Sirry –, ainsi qu’un sentiment nationaliste, au moment où l’Égypte accède à l’indépendance.
Devant le musée Galliera, Paris, à l’occasion de l’exposition Visages de l’art contemporain égyptien, 1971, de gauche à droite : Adam Henein, Tahia Halim, Inji Efflatoun, inconnue et Gazbia Sirry, Courtesy Safarkhan Art Gallery
En écrivant une histoire des expositions d’Inji Efflatoun et de Gazbia Sirry, ce mémoire ne se borne pas à souligner l’importance de la participation des femmes aux mouvements artistiques modernes en Égypte ; il interroge les circonstances qui l’ont permise. L’un de ses enjeux est de définir des approches susceptibles de rendre compte du travail d’artistes qui se situent en marge de l’histoire de l’art en raison de leur genre et de leur appartenance géoculturelle. C’est pourquoi le biais de l’histoire des expositions est privilégié : il permet d’analyser à la fois les caractéristiques esthétiques du travail des artistes et le contexte social et politique qui en influence la forme et la diffusion. De plus, l’étude croisée des deux artistes révèle une diversité des expériences féminines de la modernité égyptienne et insiste sur la capacité de chacune à agir sur son propre parcours.
Inji Efflatoun, Soldier (Fedayeen), 1970, huile sur toile sur bois, 79 x 34 cm, Courtesy Safarkhan Art Gallery
Gazbia Sirry, Life on the Embankment of the Nile (II),1960, huile sur toile, dimensions inconnues, American University of Cairo, Le Caire, Courtesy the Rare Books and Special Collections Library, The American University in Cairo
L’établissement de listes d’expositions à partir de sources dispersées ainsi que des études de cas approfondies permettent de distinguer deux moments dans la publicisation des travaux d’Inji Efflatoun et de Gazbia Sirry. Le premier de ces moments coïncide avec l’époque nassérienne (1952-1970), qui se caractérise par des expositions-récits déployant le topos de l’émancipation des femmes pour affirmer le caractère moderne de l’Égypte. Gazbia Sirry présente alors ses œuvres surtout dans des lieux étatiques, tandis qu’Inji Efflatoun fait ses premiers pas dans des galeries privées du Caire. Au-delà de l’apparente opposition entre artiste officielle et artiste indépendante, toutes deux participent aux biennales qui révèlent l’Égypte moderne aux yeux du monde. La deuxième période (1970-2016) débute avec la politique libérale d’ouverture d’Anouar al-Sadate. L’internationalisation de la carrière des artistes s’accélère et leurs expositions, plus nombreuses en Occident, prennent un tour réflexif sur les identités de femmes, d’Égyptiennes, d’Arabes, d’Africaines. Ainsi l’histoire des expositions d’Inji Efflatoun et de Gazbia Sirry éclaire-t-elle les fluctuations du rapport entre la nation égyptienne – au sens de l’État et des principes organisateurs d’une communauté –, les mondes de l’art et les femmes, du début des années 1950 à nos jours. Ce mémoire constitue la première pierre d’une thèse en cours consacrée aux expositions des artistes femmes d’Égypte de 1952 à 1975.
Mémoire de recherche de master 2, dirigé par Dominique Poulot, avec les conseils de Mercedes Volait, et soutenu par Nadine Atallah, le 24 juin 2016, au sein de l’université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne.