Lyons, Mary E., Stitching Stard: The Story Quilts of Harriet Powers, New York, Aladdin Paperbacks, 1997
Fabric of a Nation: American Quilt Stories, Museum of Fine Arts, Boston, 10 octobre 2021 – 17 janvier 2022
Artisane et artiste textile états-unienne.
Harriet Powers, d’ascendance africaine, naît sous le joug de l’esclavage en 1834 près d’Athens, en Géorgie. Elle passe la plus grande partie de ses jeunes années dans la plantation de John et Nancy Lester dans les environs de Madison. Avant la guerre de Sécession, la couture représente pour les femmes esclavisées une compétence essentielle, apprise dès le plus jeune âge auprès d’autres esclaves ou, parfois, de la maîtresse de la plantation. H. Powers se marie à dix-neuf ans, a neuf enfants et acquiert la liberté dans une période qui confronte les Africains-Américains et plus particulièrement les Africaines-Américaines à de très grandes épreuves et à des obstacles souvent violents. On sait très peu de choses de la vie de H. Powers. Toutefois, son habileté technique et son génie artistique lui permettent de créer d’extraordinaires courtepointes (quilts), cousues à la main et à la machine pour raconter une histoire : le Bible Quilt [Courtepointe de la Bible, 1886] et le Pictorial Quilt [Courtepointe picturale, 1898], qui se trouvent aujourd’hui, respectivement, dans les collections du musée national d’Histoire américaine de la Smithsonian Institution à Washington, D.C., et du musée des Beaux-Arts de Boston. Ces deux ouvrages demeurent des exemples sans pareil d’œuvres créées par une femme d’ascendance africaine « racontant » des expériences africaines-américaines très réelles ; elles sont incontournables dans un récit plus authentique de l’histoire passée, présente et future de l’Amérique par le truchement de la création textile.
H. Powers ne savait ni lire ni écrire, mais par les prouesses techniques qu’elle accomplit avec une aiguille, du fil, des appliqués, ses observations infuses de phénomènes naturels et ses croyances bibliques ardentes, elle donne corps à une vision et un récit artistiques monumentaux. Elle y matérialise un témoignage de manifestations naturelles qu’elle relie aux pouvoirs d’un Dieu tout-puissant. Ces deux courtepointes constituent les seuls vestiges de la créativité de H. Powers. Elles démontrent que la couture était devenue un acte subversif, une métaphore de la résistance et de la résilience, ainsi qu’un moyen d’exprimer son intention, son intelligence et son autonomie artistiques. Ces extraordinaires couvertures révèlent le génie magistral d’une femme esclavisée, devant gérer les extrêmes d’une existence rude et brutale. Les spécialistes de l’histoire, de la critique d’art et de la conservation ont longtemps classé H. Powers parmi les artistes « folkloriques » du fait des biais masculins qui imprègnent la vision et les pratiques de l’Amérique envers les citoyennes et citoyens racisés pauvres et peu instruits. Les universitaires prennent aujourd’hui conscience que H. Powers était une femme brillante, qui a vraisemblablement appris son art auprès d’Africaines esclavisées arrivées dans les Amériques la mémoire remplie de savoirs techniques transmis au fil des générations et de traditions esthétiques complexes.
La transmission orale de connaissances africaines s’est perpétuée, laissant des traces artistiques indélébiles qui ont transcendé l’interdiction de lire et d’écrire frappant les personnes esclavisées. L’art de H. Powers porte la trace caractéristique de la diffusion culturelle et du style des textiles cérémoniels des civilisations béninoise et dahoméenne d’Afrique de l’Ouest. L’esthétique et les traditions orales de l’Afrique ne sont pas des idiomes « folkloriques » : les cultures africaines reposent en effet sur des siècles de pratiques et de systèmes de croyances complexes, bâtis sur des patrimoines ancestraux. Invisibilisée, H. Powers était un agent transformateur, inscrivant à l’aiguille, au fil et aux chutes textiles la ténacité et le génie d’une esthétique qui survit continuellement à l’adversité grâce à l’innovation, l’improvisation et l’invention, contre toute attente.
Une notice réalisée dans le cadre du programme « The Origin of Others » en partenariat avec le Clark Art Institute.
© Archives of Women Artists, Research and Exhibitions, 2022