Krauss Rosalind E., Cindy Sherman: 1975-1993, New York, Rizzoli, 1993
→Burton Johanna & Owens Craig, Cindy Sherman, Cambridge, MIT Press, 2006
Cindy Sherman, Kunsthalle Basel, Bâle, 28 mars – 20 mai 1991 ; Staatsgalerie moderner Kunst, Munich, 21 juin – 24 juillet 1991 ; Whitechapel gallery, Londres, 2 août – 22 septembre 1991
→Cindy Sherman, Jeu de paume, Paris, 16 mai – 3 septembre 2006 ; Kunsthaus Bregenz, Bregenz, 25 novembre 2006 – 14 janvier 2007 ; Louisiana Museum of Modern Art, Humlenæk, 9 février – 13 mai 2007, Martin Gropius Bau, Berlin, 15 juin – 10 septembre 2007
→Cindy Sherman, Museum of Modern Art, New York, 26 février – 11 juin 2012 ; Museum of Modern Art, San Francisco, 14 juillet – 7 octobre 2012 ; Walker Art Center, Minneapolis, 10 novembre 2012 – 17 février 2013 ; Museum of Art, Dallas, 17 mars – 9 juin 2013
Plasticienne états-unienne.
Depuis sa célèbre série Untitled Film Stills (1976-1980), où elle se met en scène en utilisant les stéréotypes du cinéma, de la peinture, de la littérature et de la vie quotidienne, Cindy Sherman a imposé les thèmes du travestissement, du détournement et de la parodie sur la scène photographique internationale, dont elle est aujourd’hui l’une des figures majeures. Avant de s’installer à New York en 1977, elle étudie la photographie à la Buffalo State College, où elle fonde, avec Robert Longo et Charles Clough, un espace d’exposition indépendant, Hallwalls. Dès son premier travail (Untitled A-E, 1975), une série de cinq autoportraits déguisés, elle est son propre modèle. Son imaginaire devient plus contemporain lorsqu’elle passe à la couleur et au grand format avec la série Rear Screen Projections (1980) et celle de Pink Robes (1982), avant d’élaborer des œuvres plus angoissantes, où les postiches et trucages, grossiers, sont faits pour « être vus ». La série Fairy Tales (« Contes de fées », 1985) tourne les contes en cauchemars, et celle des Horror and Surrealist Pictures (1994-1996) montre des assemblages de corps et de monstres. La violence s’exacerbe avec la série Disasters (1986-1989) et devient pornographique dans celle des Sex Pictures (1992) et des Broken Dolls (« Poupées cassées », 1999). Au-delà de la subversion et de l’ironie, l’artiste met en scène, comme Hans Bellmer, des poupées et des mannequins désarticulés, aux membres arrachés ou brûlés, qui sont les instruments d’un imaginaire macabre de l’inanimé.
Les travaux de commande qu’elle réalise pour la mode dans les années 1990 tendent également à la déshumanisation ; la série History Portraits/ Old Masters (1988-1990) rejoue l’histoire de l’art avec noirceur : l’artiste se déguise en portraits de maîtres, mais les faux nez, faux seins et perruques, ainsi que les couleurs criardes, en exacerbent l’artificialité. C’est logiquement qu’elle a ensuite choisi d’approfondir la question du masque (série Masks, 1994-1996) et le thème du clown (série Clowns, 2003-2004). Le travestissement, poussé à l’extrême, révèle l’omniprésence de la mort et la fascination pour la laideur, allant jusqu’à la terreur. À l’opposé de l’esthétique documentaire, elle est représentante majeure de la tendance fictionnelle de la photographie contemporaine qui s’épanouit dans une veine grotesque et comique (History Portraits) ou dans une théâtralité exubérante et sombre (série Fashion, 1983, 1984, 1993 et 1994). Ses autoportraits travestis révèlent une crise de l’identité, particulièrement sensible dans la série Hollywood/Hampton Types (2000-2002), où elle joue des comédiens oubliés en recherche d’emploi. Les portraits frontaux, à la manière des photographies officielles, disent le vieillissement et la désillusion, mais aussi le désespoir d’être réduit à un rôle unique.
Elle est considérée comme une photographe féministe quand elle se met en scène sur un mode parodique en dénonçant les stéréotypes véhiculés par le cinéma, la peinture et la photographie. Comme Jo Spence, elle déconstruit le regard sur la femme et utilise le détour de la fiction pour se réapproprier son image. Elle a pourtant été critiquée par les milieux féministes pour sa complaisance envers les stéréotypes féminins et la position de victime qu’adoptent la plupart de ses « personnages ». Mais son œuvre est aussi un retour du corps féminin sur le devant de scène, comme une réaction au féminisme théorique. Ainsi, Horror and Surrealist Pictures peut être compris comme une réaction contre l’idéalisation de la femme. La photographie est aussi pour elle une arme contre le « grand art » (« high art »), et son iconoclasme apparaît comme une revanche du populaire sur le musée : « J’ai voulu faire quelque chose qui toucherait les gens sans qu’ils aient besoin de lire d’abord un livre sur le sujet ». Comme Claude Cahun, elle puise sa matière dans les mythes et l’imaginaire commun. Untitled Film Stills montre ainsi l’influence massive du cinéma américain sur la culture populaire : ses « copies sans originaux » (Rosalind Krauss), sans référent, ses citations d’un univers cinématographique vague font d’elle une représentante majeure du postmodernisme. La photographie est pour elle un dispositif à la fois artistique et critique : elle dénonce de façon frontale le triomphe de la télévision et surtout la mode, qui l’a beaucoup sollicitée au début des années 1980. Mais, contrairement à Jeff Wall, à qui elle est parfois comparée, elle n’a pas développé de discours théorique : il reste donc comme un mystère qui plane sur son œuvre abondamment commentée.