Hillings Valeri, Hanne Darboven : hommage à Picasso, cat. expo., Deutsche Guggenheim, Berlin (4 février – 23 avril 2006), Berlin/Ostfildern, Deutsche Guggenheim/Hatje Cantz, 2006
→Berger Verena (dir.), Hanne Darboven: Boundless, Ostfildern, Hatje Cantz, 2015
→Adler Dan, Hanne Darboven: « Cultural history, 1880-1983 », London/Cambridge, Afterall Books, 2009
Hanne Darboven: Wende ›80‹, Rijksmuseum Kröller-Müller, Otterlo, 1983
→Hanne Darboven, Hamburger Kunsthalle, Hambourg, 1999-2000
→The order of time and things: The home studio of Hanne Darboven, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid, 26 mars – 1er septembre 2014
Artiste conceptuelle allemande.
Issue d’une famille de commerçants de la grande bourgeoisie de Hambourg, Hanne Darboven grandit dans une atmosphère très ouverte, tournée vers les arts et, en particulier, la musique. Excellente pianiste dès son enfance, elle abandonne la pratique musicale en 1962 pour étudier la peinture à l’école des beaux-arts de Hambourg. De 1965 à 1968, elle séjourne à New York, où ses recherches la mènent vers des œuvres de plus en plus épurées, et elle dépose dans la rue la majorité des travaux qu’elle avait apportés d’Allemagne. La construction de ses dessins abstraits repose bientôt sur des opérations géométriques ou algébriques (addition, permutation, inversion). Elle joue alors un rôle important dans le développement de l’art conceptuel aux États-Unis : ce mouvement défend l’idée que l’essentiel d’une œuvre est son contenu intellectuel et que la formulation claire du projet d’une création suffit pour qu’elle puisse exister pleinement ; cette revendication est étroitement liée à un rejet de la production d’objets (peintures, sculptures). Dans le parcours de la jeune artiste, le rejet de la peinture prend alors la forme d’une rupture. En août 1968, après la mort de son père, elle entame un travail sur les dates, qu’elle transforme, par le calcul de la somme horizontale, en chiffres uniques appelés « K-Wert » (« valeur K »), à l’aide de sa Konstruktion (système pour extraire un chiffre de toute date donnée). Par la suite, elle abandonne entièrement la corrélation entre nombres et dessin, et la réflexion sur le passage du temps deviendra un élément essentiel de son œuvre. En 1980, elle renoue avec la pratique musicale de son enfance et commence à mettre en corrélation les chiffres et les notes. Elle conçoit ainsi des compositions qui sont jouées par des orchestres et éditées sous forme de partitions et de CD-Rom. Depuis son projet, abandonné au début des années 1970, de recopier à la main L’Odyssée d’Homère, la réécriture joue un rôle essentiel dans son œuvre. De 1975 à 1982, elle entreprend Schreibzeit (« temps d’écriture ») : 3 000 pages réparties en sept classeurs, dont la majeure partie est constituée de passages de textes très variés qu’elle recopie à la main. Elle inclut des extraits de journaux et de magazines contemporains (notamment l’hebdomadaire Der Spiegel), mais aussi des aphorismes de Georg Christoph Lichtenberg. Au-delà du choix qu’elle établit, ses interventions personnelles dans le texte sont très rares. Par cet assemblage, elle essaie de montrer l’imbrication de l’art et de la politique, de Bismarck jusqu’aux conséquences du fascisme dans la jeune République fédérale allemande. Mais il ne s’agit pas seulement de réécrire mot à mot des textes. Elle remplace souvent les « unités de sens » par des lignes ondulées. La temporalité du geste d’écrire prime alors sur la constitution d’un sens qui serait véhiculé par les mots.
Ses projets d’écriture sont souvent des hommages explicites à des philosophes (Evolution Leibniz, 1986), à des inventeurs, à des hommes d’État (Bismarckzeit [« Bismarck »], 1978) ou, plus rarement, à des artistes (Hommage à Picasso, 1995-2006 ; Quartett’88, 1988-1989, dédié à quatre femmes : Gertrude Stein, Virginia Woolf, Marie Curie et Rosa Luxemburg) ; enfin, parfois même à une idée (les droits de l’homme, la ville de New York, les idées des Lumières). Vers 1979, des images de diverses sources (photographies, reproductions, couvertures de journaux) s’ajoutent à ces ensembles. En 1999, elle expose un choix d’œuvres réalisées dans son enfance et pendant ses études à Hambourg (Hanne Darboven, Das Frühwerk [« Hanne Darboven, premières œuvres »], 1999-2000), telle une réhabilitation tardive de son passé comme artiste en devenir. L’intérêt pour son propre passé rejoint ici clairement son intérêt pour l’écriture de l’histoire. C’est l’importance qu’elle donne à une date essentielle de sa vie personnelle (celle de la mort de son père) qui fait entrer la temporalité dans son œuvre, marquée par la relation entre histoire globale et histoire personnelle. La tension entre temps personnel et passage du temps global rejoint celle existant entre le choix de sujets à charge émotionnelle forte et leur traitement presque machinal. Aussi, malgré la sensation de froideur et d’impassibilité que donnent souvent ses travaux, ceux-ci recèlent toutefois presque toujours une dimension sentimentale intense que le spectateur peut découvrir en remontant aux sources d’une œuvre. La rigueur manifeste dans le travail apparaît alors comme le fruit d’un exercice de soi ou d’une quête spirituelle personnelle qui serait ancrée dans une vie traversée par les mêmes accidents, joies et souffrances que la nôtre.