La Casinière, Joëlle de, Jotta, Ana, Van Kerckhoven, Anne-Mie, Three Moral Tales, cat. exp., Malmö Konsthall, Malmö (15 juin – 25 août 2019), Dijon, Les Presses du réel, 2019
→La Casinière, Joëlle de, Le Bon Usage télévisuel, Bruxelles, Montfaucon, 1986
→La Casinière, Joëlle de, Manu Script, Montréal, Dérives, 1980
Tout doit disparaître, musée d’Art contemporain de la Haute-Vienne, château de Rochechouart, 28 février – 13 septembre 2020
→50 tablotins musiqués, Argos, Bruxelles, février-mars 2014
→Documenta 8, Kassel, juin-septembre 1987
Artiste nomade.
Joëlle de La Casinière grandit à Madrid, puis en France, où elle commence à peindre tout en suivant des études de lettres. En 1965, elle rejoint Bruxelles, où elle mène encore aujourd’hui « une vie exemplaire », selon les termes du critique d’art et commissaire d’exposition François Piron, à qui l’on doit plusieurs expositions récentes de son travail. En marge des modes et des milieux de l’art contemporain et de l’édition, elle travaille de manière indépendante depuis plus de cinq décennies à la croisée des arts plastiques, de la poésie et du cinéma.
Au milieu des années 1960, J. de La Casinière vend ses tableaux et ses biens pour voyager en Amérique latine. Elle commence à y réaliser des films documentant, en Colombie et au Pérou en particulier, la transformation du paysage social et économique, avec les réalisateurs Carlos Ferrand puis Michel Bonnemaison. Elle développe en parallèle un style d’écriture juxtaposant divers éléments, comme des poèmes manuscrits en différentes langues, des publicités, des cartes postales, des photographies, des graffitis, des dessins, des collages, œuvres destinées à ses proches. Une poésie graphique intermédia témoignant d’une cacophonie d’informations que l’artiste n’a cessé d’explorer à travers différents médiums et supports se répondant les uns aux autres : ses plus de cinq cents tableaux-poèmes, qu’elle nomme Tablotins depuis 1971, alimentent ainsi ses nombreux livres fabriqués à la main, eux-mêmes transformés en films et expérimentations vidéographiques à partir des années 1980.
Si le nomadisme demeure le quotidien de J. de La Casinière, influençant sa pratique de formes mobiles et légères, ce sont aussi la vie communautaire et la création collective qui caractérisent sa démarche. Elle fonde en 1972 le Montfaucon Research Center avec une famille choisie d’ami·e·s artistes composée notamment de M. Bonnemaison, de la poétesse Sophie Podolski, du poète Al Berto, de la peintre Olimpia Hruska, du réalisateur Enrique Ahriman et du musicien Jacques Lederlin. Ensemble, ils et elles expérimentent et imaginent des valeurs radicalement opposées à celles de la consommation et de l’individualisme à une époque marquée par la libération sexuelle et les luttes émancipatrices. Refusant le formatage d’une carrière « commerciale », J. de La Casinière produit alors avec le Montfaucon Research Center une œuvre souvent drôle mais désabusée, pointant avec provocation et lucidité les enjeux sociétaux de son époque à travers une critique des médias de masse.
C’est particulièrement le cas dans ses œuvres vidéo conçues à partir des années 1980, dans lesquelles elle développe une réflexion pratique sur la rhétorique des images et du discours télévisuels dans une perspective transhistorique. La vidéo Grimoire magnétique (1982), présentée à la documenta 8 de Cassel en 1987, apparaît ainsi comme un poème graphique multimédia adapté de la biographie par Louis Massignon du grand poète mystique du Xe siècle Mansûr Al-Hallâj, dans lequel se superposent en couches simultanées différents modes de narration : écritures, voix, images et langage des signes. De 1970 à 1990, J. de La Casinière et les membres du Montfaucon Research Center réalisent ainsi plus d’une vingtaine de films et de vidéos poèmes musicaux inspirés des thèses de Marshall McLuhan, qu’ils et elles diffusent à la télévision belge et française et présentent dans de nombreux festivals en Europe et en Amérique. Ses propres œuvres et celles du Montfaucon Research Center sont depuis peu entrées dans de grandes collections publiques comme celles du Centre Pompidou, du musée Reina Sofía à Madrid et du musée d’Art contemporain de la Haute-Vienne à Rochechouart.