Stanislas Colodiet, Marie-Charlotte Calafat, Mathilde Rosier, Mathilde Rosier. Champ de visions, Paris, les presses du réel, 2023
→Mathilde Rosier, « Karneval II », Frieze magazine, 31 janvier 2013
→Claudia Ernest, Mathilde Rosier, Ceremonially infused, cat. exp., Kunstpalais, Arlangen [avril – juin 2011], Erlangen, Kunstpalais, 2011
→Mathilde Rosier, Passionate belief, Francfort-sur-le-Main, Revolver, 2006
Plasticienne et performeuse française.
Mathilde Rosier a pour principaux médiums la peinture, la vidéo et la performance. Après ses études aux Beaux-Arts de Paris, elle fait des débuts prometteurs dans le monde de l’art et commence à partager son temps entre la ville et la campagne, s’isolant pour réfléchir à la nature et à l’agriculture. Ensuite, elle vit et travaille à Amsterdam, New York et Los Angeles, avant de s’installer à Berlin, où elle passe presque une décennie. Durant cette période, alors qu’elle fait partie de la scène artistique conceptuelle et politisée, elle affine ses capacités analytiques. En 2015, M. Rosier rentre en France, en Bourgogne, où elle continue sa réflexion sur les vies extérieures et intérieures.
Les thèmes et les préoccupations de M. Rosier sont constants au fil des années. Ils incluent notamment la nature et sa capacité d’agir ; la possibilité d’inventer des mythologies afin de produire des mondes nouveaux ; les correspondances qui existent entre l’esprit humain, l’esprit de la nature et l’inconscient ; les liens potentiels entre les méthodes de connaissance anciennes et modernes. Son œuvre est nourri par des recherches approfondies et minutieuses sur les rituels ; sur les techniques antiques de connexion au vivant ; sur le désir compris comme un désir de protéger ; sur l’agriculture et les nombreux moyens par lesquels les humains prennent la nature en otage ; sur la pensée non binaire et sur l’importance de rester constamment attentif à toutes les créatures vivantes et à leurs besoins. Toutes ces problématiques cohabitent dans ses tableaux et dans ses petites pièces de théâtre.
Dans ses œuvres les plus récentes, elle interroge la capacité d’agir des champs cultivés et crée des épis de blé humanoïdes, que l’on retrouve dans ses tableaux (Portrait en pied, 2023) comme dans ses films (Le Massacre du printemps, 2020). Ces épis dansent dans les cieux de nos villes ou se contentent d’apparaître inopinément parmi des constructions. Dans certains tableaux, les têtes des créatures deviennent des flèches qui pointent vers le ciel, tournant en ridicule, d’une certaine manière, notre besoin continu d’ascension, de développement, de progrès. Après des siècles passés à leurs côtés, il ne nous surprend pas vraiment de voir ces céréales nous faire face. Elles ne sont pas sauvages, ni rebelles… pas encore. Ces œuvres représentent une phase au cours de laquelle les créatures semblent avoir tout juste acquis une forme de conscience et de présence, ainsi que le courage nécessaire pour simplement se tenir face à nous. Silencieuses, elles n’en sont pas moins éloquentes. Nous savons que nous ne pouvons plus maintenir les frontières qui séparent le domestiqué du sauvage. En fait, ces états ont tous deux disparu. C’est ce que nous disent ces êtres. Il n’y a plus de vie sauvage, brute, primitive. Mais la vie domestiquée aussi a besoin de changer. Ces épis de blé nous parlent-ils ? Ils parlent à la pulsion de rechercher et de lutter pour obtenir le contrôle absolu de la vie et de son intelligence. Une très grande partie de l’humanité croit encore que nous pouvons gagner toutes les batailles. Il a fallu des siècles et des siècles pour domestiquer la nature. Maintenant, il est temps de domestiquer aussi l’inorganique, l’artificiel.
Récemment, le motif des yeux a aussi fait son apparition dans les œuvres de M. Rosier, comme dans l’installation Champs de vision (2023). Ces beaux yeux de verre, humides, sont les yeux de toutes les créatures vivantes qui regardent en retour les humains. Ils canalisent toutes les émotions ressenties par les entités non humaines en réaction aux atrocités que nous ne cessons de commettre.
Depuis 2016, M. Rosier enseigne à l’Institute Art Gender Nature à la Haute École d’art et de design de Bâle. Elle a eu des expositions individuelles au Camden Art Centre (Londres), au Museum Abteiberg (Mönchengladbach), aux Serpentine Galleries (Londres), au Jeu de paume (Paris) ainsi qu’au Madre Museum (Naples, 2020) et à la fondation Pernod-Ricard (Paris, 2023), et elle a réalisé une œuvre de commande in situ pour le Centre de conservation et de ressources (CCR) du Mucem (Marseille, 2023).