Critique

Claudia Andujar : photographier comme on lutte

26.04.2020 |

Claudia Andujar, Catrimani, Roraima, 1972-1976, Courtesy Fondation Cartier, © Claudia Andujar

La fondation Cartier présente une rétrospective de Claudia Andujar (née en 1931), en sa qualité de photographe et de militante engagée depuis cinquante ans aux côtés du peuple amérindien des Yanomami, à la frontière entre le Brésil et le Venezuela.

Claudia Andujar : photographier comme on lutte - AWARE Artistes femmes / women artists

Claudia Andujar, Susi Korihana thëri au bain, Catrimani, Roraima, 1972-1974, pellicule infrarouge, Courtesy Fondation Cartier, © Claudia Andujar

Contraintes architecturales obligent, la scénographie des expositions au rez-de-chaussée de la fondation Cartier requiert le plus souvent la suspension d’une importante partie des œuvres dans l’espace. Or, la sensation de flottement ressentie lors de la visite participe bien de la lecture de l’accrochage dans ce cas particulier, en ce qu’elle favorise l’immersion dans un ensemble d’images qui cherchent précisément à requalifier l’expérience du regard, en embrassant le point de vue des Yanomami.

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Claudia Andujar, Intérieur d’une maison collective proche du Catrimani, Roraima, 1974, Courtesy Fondation Cartier, © Claudia Andujar

Installée au Brésil à partir de 1955, où elle fait ses premiers pas de photographe, produisant des œuvres déjà marquées par la présence de sujets marginalisés (dont plusieurs ethnies natives d’Amérique latine), C. Andujar rencontre les Yanomami en 1971, dans le même temps qu’elle fait un reportage sur l’Amazonie pour le magazine Realidade, et décide dès lors d’entreprendre un travail monographique sur un temps plus long que celui que permet le photojournalisme, grâce à une bourse de la John Simon Guggenheim Memorial Foundation.

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Claudia Andujar, Jeune Wakatha u thëri, victime de la rougeole, soigné par des chamans et des aides-soignants de la mission catholique Catrimani, Roraima, 1976, Courtesy Fondation Cartier, © Claudia Andujar

C. Andujar se rend ensuite à de nombreuses reprises dans la région, jusqu’en 1977, et réalise un important premier corpus d’images – celui qui figure en ouverture de l’exposition –, structuré thématiquement autour des notions de vie quotidienne et de rituels. Elle y laisse affleurer un paradoxe intéressant : l’acte de prise de vue sert ici une horizontalité dans le rapport d’échange, et ce alors que la technique photographique a historiquement partie liée avec l’entreprise coloniale et sa fureur taxonomique (et plus largement avec sa violence systématique dans les domaines culturels et sexuels). Or justement chez C. Andujar, à rebours de toute objectification, il est passionnant d’observer l’effort déployé, en exploitant les possibilités qu’offre la photographie, pour entrer en conversation avec la conception du monde des Yanomami, dans la compréhension qu’elle peut avoir de l’expérience chamanique. L’artiste négocie avec l’histoire du médium photographique, en en retenant un paradigme spécialement pictorialiste et ouvertement expérimental, où il importe moins de documenter que de faire image (en recourant entre autres à de la pellicule infrarouge, en posant de la vaseline sur l’objectif, en utilisant le flash et des vitesses d’obturation lentes).

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Claudia Andujar, Ericó, Roraima, issue de la série Marcados, 1983, Courtesy Fondation Cartier, © Claudia Andujar

En cela, il ne s’agit pas tant de déterminer le pari comme réussi ou non que de noter l’intention dans laquelle agit C. Andujar, annonciatrice de son travail de militante présenté dans la seconde partie de l’exposition, qui renverse le rapport de subordination précédent entre recherches picturales et efficacité politique, à mesure que les conditions de vie faites aux Yanomami s’aggravent sensiblement. Le projet du gouvernement militaire brésilien d’ouvrir une route transamazonienne traversant les terres yanomami, coïncidant avec la découverte de ressources minières, a provoqué, par exemple, une propagation d’épidémies qui ont appelé une réponse spécifique. La série Marcados [Marqué·e·s, 1981-1983], qui met en scène des personnes identifié·e·s par un numéro au cours d’une campagne de vaccination, par l’analogie immédiate suggérée avec les moyens employés par le nazisme (dont C. Andujar a souffert directement face à la déportation de sa famille paternelle), retient particulièrement l’attention dans l’écho stratégique qu’elle offre, encore une fois, à l’histoire du médium photographique. De même, et plus généralement, le souhait des Yanomami de voir circuler leur image, en dépit de leur système de croyances qui exigerait le contraire, atteste leur propre réflexivité face à cette inscription historique et leur capacité à s’en saisir pour défendre leurs droits.

 

Claudia Andujar. La lutte yanomami, du 30 janvier au 10 mai 2020, à la fondation Cartier pour l’art contemporain (Paris, France).

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