Belson Renée, Rogi André : portraits, Paris, Regard, 1981
→Ollier Brigitte, Nora Elisabeth, Rogi André : photo sensible, Paris, Regard, 1999
→Jones Julie, Ziębińska-Lewandowska Karolina, Son modernas, son fotógrafas : Berenice Abbott, Laure Albin Guillot, Rogi André, Ina Bandy, Denise Bellon, IIse Bing, Marianne Breslauer, Yvonne Chevalier, Marcelle D’Heilly, Nora Dumas, Florence Henri, Germaine Krull, Ergy Landau, Dora Maar, cat. expo., Centre Pompidou Málaga, Málaga (16 octobre 2015 – 24 janvier 2016), Madrid, Turner, 2015
Rogi André, musée national d’Art moderne – Centre Georges-Pompidou, Paris, 31 mars – 2 mai 1982
Photographe et peintre française.
Fille de médecin, Rogi André reçoit une éducation bourgeoise à Budapest, sous domination autrichienne. Atteinte dès l’enfance d’une forte scoliose, elle porte un corset de fer ; ainsi limitée dans ses gestes, elle apprend le violon, dessine. En 1924, elle étudie à l’École des beaux-arts de Budapest en vue de devenir peintre. L’année suivante, elle vient seule à Paris, où elle retrouve nombre d’exilés autour du comte Mihály Károlyi, l’éphémère président de la République hongroise – tous opposés au régime dictatorial d’Horthy. Elle se lie particulièrement avec le sculpteur István Beöthy et sa femme, la peintre Anna Beöthy-Steiner (1902-1985). En 1928, elle épouse le photographe André Kértesz ; ils habitent alors au 75, boulevard de Montparnasse, tout à côté de L’Esthétique, la librairie galerie au décor constructiviste fondée par leur ami, le peintre Evsa Model. Formée aux techniques de la photographie par son mari, R. André peut ainsi assurer son indépendance financière. Elle commence par photographier des nus féminins vers 1927-1928, très demandés par la presse illustrée, mais manifestement, elle ne se trouve pas dans ce genre. Néanmoins, elle se débrouille très vite seule, et conseille même son amie Lisette Model lorsque celle-ci se lance à son tour dans la photographie. En 1930, elle se spécialise dans le portrait : elle prend ses sujets en pied, attachant une grande importance au port de tête, aux gestes et à la forme des mains ; elle saisit ses modèles dans leur cadre de vie quotidien, éliminant tout artifice pour les atteindre au plus près de leur personnalité.
Pour chaque portrait, elle fait quatre ou six prises. Elle transporte elle-même son matériel, un Voigtländer Bergheil 9 x 12 à plaques, mis sur le marché en 1912, lourd, encombrant et d’un maniement sophistiqué, dont la durée d’installation est longue, car elle y inclut le temps consacré à sa rencontre avec le modèle. Ses tirages suppriment tout détail qui ne serait pas significatif, si bien que dans le portrait de Max Jacob, l’élégance du porte-plume posé sur sa table de travail semble non seulement accompagner le geste de l’écrivain, mais aussi réduire son existence à cette plume ; dans celui de Mondrian, la raideur de la pose est accentuée par les quelques lignes des tableaux, aperçues derrière lui. Le plus souvent, les artistes surgissent de l’ombre, face au spectateur, sans le moindre support évoquant leur travail, et lorsque André Lhote est devant un chevalet, ce sont ses élèves qui sont photographiés. Dans sa galerie de portraits, le Tout-Paris des lettres et de la peinture défile devant le public : Braque, Bissière, Bonnard, Duchamp, Crevel, Peignot, Breton, Colette, Dora Maar. L’artiste réalisera toujours elle-même les tirages, s’accommodant du peu d’espace à sa disposition : un coin de cuisine ou de salle de bains.
Après son divorce en 1932, elle s’installe dans un immeuble de la rue du Père-Cotentin, où elle retrouve les deux photographes Florence Henri (1893-1982) et Ilse Bing (1899-1998) ; les trois femmes s’entraident. R. André travaille pour différentes revues : Paris magazine ; Arts et métiers graphiques ; Verve. En 1935, elle réalise la photo de Jacqueline Lamba (1910-1993) en naïade, qui illustre le texte de Breton, La Nuit du tournesol, dans la revue Minotaure. Elle expose dans les galeries Art et industrie, Pléiade, Le Chasseur d’images, et dans des manifestations collectives, dont l’Exposition internationale de la photographie contemporaine au pavillon de Marsan en 1936, le musée des Arts décoratifs à Paris et l’exposition Photography, 1839-1937 au Museum of Modern Art de New York en 1937. En 1941, aidée par Renée Beslon – rencontrée dans l’atelier d’A. Lhote où elle suit des cours de peinture –, elle part en zone libre et se réfugie temporairement en Touraine. De retour à Paris, c’est la galeriste Jeanne Bucher qui la protège, en la cachant dans la chambre de sa fille. En 1944, à la demande de celle-ci, R. André photographiera Kandinsky sur son lit de mort. À partir de 1950, réduite à la pauvreté, elle se consacre surtout à la peinture. D’un caractère extrêmement difficile, selon les dires de nombreux témoins, elle vit dans une grande solitude, bien qu’ayant rencontré tous les peintres et écrivains du légendaire Montparnasse de l’entre-deux guerres. Tout au long de sa vie, elle aura été une artiste nomade, accrochant le regard des autres.