Choy, Weng Lee, Rujoiu, Anca et al., A walked line can never be erased: Amanda Heng, publication d’exposition, organisée par The Necessary Stage, coprésenté avec et à Objectifs : Centre for Photography and Film dans le cadre du M1 Singapore Fringe Festival 2018 : Let’s Walk, 10-27 mai 2018.
→Ho, Michelle (dir.), Amanda Heng : speak to me, walk with me, catalogue d’exposition, Singapour, Singapore Art Museum, 2011
→Heng, Amanda, Choy, Lee Weng, Lingham, Susie, Ngui, Matthew et Wong, Andrey, Open ends: a documentation exhibition of performance art in Singapore, dans le cadre de The Substation’s Septfest, 7-21 septembre 2001, Singapour, The Substation, 2001)
12e exposition du prix Benesse, Benesse Art Site Naoshima, Japon, 2024
→Amanda Heng: We Are the World—These Are Our Stories, Singapore Tyler Print Institute (STPI), 7 janvier – 25 février 2017
→Amanda Heng: Speak to me, Walk with me, Singapore Art Museum, Singapore, 7 octobre 2011 – 1 janvier 2012
Performeuse interdisciplinaire singapourienne.
La démarche artistique d’Amanda Heng repose sur des actes quotidiens aussi simples que parler, marcher et toucher. Ceux-ci portent son engagement à faire de l’artiste non plus une faiseuse d’images ou d’objets, mais une facilitatrice d’espace, d’échanges, de relations et d’expériences. Au fondement de cette philosophie se trouve l’intérêt d’A. Heng pour les rôles de genre dans la société, la dimension politique de l’identité culturelle et les motifs mondialisés. A. Heng se lance dans l’art à trente-cinq ans, en 1986, année où elle abandonne son fastidieux emploi dans l’administration fiscale pour s’inscrire à une formation de gravure à l’université artistique Lasalle. Elle en sort diplômée deux ans plus tard et fonde, la même année, le collectif artistique pionnier The Artist’s Village. Après avoir un temps étudié le mouvement de libération des femmes et l’art féministe à Central St Martins au Royaume-Uni, elle entame ensuite un bachelor de beaux-arts à l’université Curtin, dans l’ouest de l’Australie, dont elle sort diplômée en 1993. A. Heng prend conscience que les arts visuels — et plus particulièrement les œuvres relevant de la performance et du processus — lui permettent de réagir de façon pertinente à ce qui se produit autour d’elle et même de transformer la perception et les réactions habituelles du public face à des situations sociales. Son goût pour le travail participatif la conduit à fonder le premier collectif féminin d’artistes à Singapour, Women In The Arts (WITA), en 1999.
Une part importante de l’œuvre d’A. Heng part et traite du fait de grandir dans un foyer patriarcal traditionnel de Singapour lorsqu’on est une femme chinoise célibataire. She and Her Dishcover (1991) est une installation qui resitue la position minorée du travail domestique accompli par les femmes comme une activité de découverte et de reconnaissance de soi. La performance S/He (1994) s’intéresse au choc des cultures occidentale et orientale dans la construction de l’individu singapourien, matérialisé dans son vécu d’élève scolarisée dans des écoles de langue chinoise (alors que ses frères et sœurs aînés ont fait leurs études dans des écoles anglophones) au sein d’un Singapour qui s’occidentalise rapidement. L’artiste se penche ensuite sur les inégalités de genre avec le sujet de l’infanticide féminin en Asie à travers son installation Missing (1994). L’exclusion sociale et linguistique, à laquelle sa propre mère, locutrice du teochew, fait face à l’époque, impulse le projet suivant en 1996-1997, intitulé Another Woman. Cette série de photographies montre A. Heng, plus ou moins dénudée, posant au côté de sa mère, dans des positions évoquant des émotions allant de la froideur jusqu’à de ferventes étreintes, révélant des liens familiaux complexes et des possibilités de dialogue en dépit des différences de générations. Between Women et Narrating Bodies (tous deux 1999–2000) poursuivent dans cette direction : l’artiste y aborde les modalités de représentation des corps des femmes et la capacité d’action de leurs propres voix lorsqu’elles vivent leurs relations dans leurs contextes culturels spécifiques.
À partir de 2000, A. Heng s’intéresse aussi à l’image nationale et exotisée de l’emblématique Singapore Girl – leshôtesses de l’air de Singapore Airlines, vêtues du kebaya en batik. L’artiste revêt l’uniforme et se montre dans divers lieux de Singapour, qui jamais ne seront présentés au monde, mais sont importants pour l’écologie, la mémoire et le patrimoine locaux. L’avatar le plus indélébile du projet au long cours Singirl est l’invitation faite par A. Heng aux spectatrices de plus de 18 ans de photographier leurs derrières nus (allant à l’encontre de l’image timide et réservée de la Singapore Girl) dans une cabine prévue à cet effet et de les déposer sur un site, singirl.online, qui rassemble toutes ces images et les transforme en long défilé, remettant en question les normes de beauté, la réification du corps et les perceptions.
La réévaluation et la validation du quotidien, du corporel et du communautaire ont conduit A. Heng à une démarche artistique qui est manifestement performative, mais aussi collaborative et itérative par nature. Ses œuvres les plus connues sont Let’s Chat (1996) et Let’s Walk (1999), qui ont été rejouées dans différents pays et dans diverses versions au fil des années, sous forme de performances publiques, d’ateliers et d’expositions-dossiers. Let’s Chatest une performance qui invite les membres du public à s’asseoir à table pour discuter avec A. Heng et d’autres participantes et participants tout en décortiquant des pousses de haricots et en buvant du thé, dans le but de retrouver l’échange d’anecdotes de voisinage d’autrefois. Let’s Walk est une série de performances où A. Heng et d’autres spectateurs et spectatrices marchent en arrière en tenant un escarpin dans leur bouche, assistés seulement d’un miroir de poche pour se guider dans les rues. L’œuvre est une réponse au fait que lors des licenciements économiques liés à la crise financière asiatique de 1997, les femmes ont été les premières renvoyées, et qu’elles en venaient à recourir à des traitements esthétiques et à de la chirurgie plastique pour conserver leurs emplois, privilégiant le physique au développement de leurs compétences et de leur éducation.
Ces performances qui mettent à profit les routines et les interactions du quotidien relèvent également d’une stratégie pour faire perdurer la discipline malgré l’interdiction par l’État des subventions pour les performances artistiques et le théâtre-forum dans les années 1990. En brouillant la limite entre art et réalité, A. Heng peut aussi démocratiser l’accès à l’art et faire apprécier son influence dans nos vies. Walk with Amanda (2000), qui s’inscrit dans une manifestation de théâtre expérimental organisé par The Necessary Stage, est peut-être le meilleur exemple de cette démarche. Le public était conduit du hall du théâtre jusqu’à un hawker centre (une aire de restauration), où il trouvait A. Heng en train de disposer des nappes roses avant de lui servir à manger. À la fermeture, A. Heng invite un spectateur ou une spectatrice à découper le t-shirt qu’elle porte pour y trouver une liasse de billets ensanglantés, qu’elle utilise pour rembourser les places du public. Ce dernier est ensuite ramené au théâtre tandis qu’A. Heng déroule un tapis rouge devant eux, les ramenant participantes et participants et non plus spectatrices et spectateurs passifs.
Une notice réalisée dans le cadre du programme The Flow of History. Southeast Asian Women Artists, en collaboration avec Asia Art Archive
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