Petersen, Anne Ring, « “Say It Loud!” A Postmigrant Perspective on Postcolonial Critique in Contemporary Art », in Schramm, Moritz, Sten Pultz Moslund, et Ring Petersen, Anne (dir.), Reframing Migration, Diversity and the Arts, New York, Routledge, 2019, p. 75-93
→Cramer, Nina, « I Am Queen Mary: An Avatar in the Making », Peripeti, n° 29/30, 2018, p. 147-155
→Løvholm, Lotte, (dir.), Say It Loud! Copenhague, Nemo, 2016
Archives in the Tongue: A Litany of Freedoms, Kunsthal Charlottenborg, Copenhague, 11 juin – 7 août 2022
→Take Root, Museum of Contemporary Art Detroit, Detroit, 5 novembre 2021 – 30 janvier 2022
→SAY IT LOUD!, Nikolaj Kuntshal, Copenhague, 15 mars – 31 juillet 2014
Artiste pluridisciplinaire trinidadienne-danoise.
Née au Danemark, d’une mère danoise et d’un père originaire de l’île de la Trinité, dans les Caraïbes, Jeannette Ehlers est façonnée par une éducation multiculturelle, qui la sensibilise aux questions de l’identité raciale, de l’injustice systémique et de l’héritage du colonialisme. Elle se forme à l’Académie royale des beaux-arts du Danemark, à Copenhague, et en sort diplômée en 2006.
J. Ehlers, qui réside et travaille à Copenhague, a développé une conscience aiguë des vastes lacunes de la mémoire collective danoise au sujet du passé colonial de la nation et de son rôle dans le commerce triangulaire. Ce constat est intrinsèquement liée à sa pratique artistique, qui interroge l’impact social de l’amnésie historique et des récits culturels. En mettant en lumière des modes marginalisés d’existence, les œuvres de J. Ehlers font office de commémoration et de protestation.
L’œuvre Whip It Good est un parfait exemple qui illustre la méthode de confrontation historique de J. Ehlers. D’abord réalisée comme une performance en 2013 pour BE.BOP 2013 au Ballhaus Naunynstrasse, un théâtre de Berlin, l’œuvre est recréée en 2014 sous forme d’installation vidéo, filmée au Vestindisk Pakhus, un ancien entrepôt colonial de Copenhague. Dans cette performance, J. Ehlers fait claquer sur la toile blanche un fouet enduit de charbon noir, en écho aux châtiments brutaux endurés par les personnes esclavagisées. Cet acte a valeur de rituel viscéralement obsédant, de remémoration esthétique. Avec cette œuvre, l’artiste enjoint à reconsidérer la violence coloniale du Danemark et invite à une réflexion critique sur ses implications durables dans la société contemporaine.
En 2018, J. Ehlers cocrée la sculpture publique I Am Queen Mary avec l’artiste américaine La Vaughn Belle (née en 1974), originaire des îles Vierges des États-Unis – territoires anciennement colonisés au sein des Indes occidentales danoises. La sculpture monumentale, de sept mètres de haut, rend hommage à Mary Thomas (1848-1905), figure centrale de la révolte des travailleur·ses de 1878 sur l’île Sainte-Croix, alors colonie danoise. Les traits de la « reine Mary » sont modelés d’après une synthèse de l’apparence des deux artistes, afin de symboliser les liens diasporiques transatlantiques. La sculpture puise dans le répertoire visuel des édifices historiques, à la fois dans son échelle et dans la posture du personnage. La reine Mary est assise telle une figure royale, sur un trône en canne à sucre, et brandit une torche et une machette – outils de travail et de résistance. Le monument fait de l’espace public un lieu d’empouvoirement à partir de l’histoire noire. Il s’agit, fait significatif, de la première sculpture publique commémorant une femme noire au Danemark. L’œuvre marque ainsi un moment de transformation dans la prise en compte par le pays de son héritage colonial.
J. Ehlers continue d’explorer ces thèmes dans l’exposition Archives in the Tongue: A Litany of Freedoms, à la Kunsthal Charlottenborg de Copenhague, en 2022, qui mêle photographie, film, installation et performance. Moko Jumbie, un esprit protecteur mythique, monté sur des échasses, dérivé de traditions d’Afrique de l’Ouest et apporté dans les Caraïbes par les personnes esclavagisées, est une figure centrale de cette exposition. En incarnant elle-même Moko Jumbie, J. Ehlers invoque des liens ancestraux et ravive la mémoire diasporique par des modes d’expression et de narration contemporains.
La pratique artistique de J. Ehlers est une contribution majeure aux débats sur le colonialisme, sur la race et sur la mémoire culturelle au Danemark. Son œuvre pluridisciplinaire donne une place essentielle, au sein des contextes européens, aux perspectives féministes noires et décoloniales, en défiant les normes culturelles et institutionnelles. Elle suscite un intérêt à la fois public et académique pour des histoires sinon souvent assignées au silence.
Une notice réalisée dans le cadre du réseau académique d’AWARE, TEAM : Teaching, E-learning, Agency and Mentoring
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