Jerry Philogene, « Beyond Vodou Iconography: Luce Turnier, a Feminist Haitian Modernist », dans Beyond Boundaries : Seeing Art History from the Caribbean, Williamstown, Clark Art Institute, 2024
→Lindsay Jean Twa, « The Rockefeller Foundation and Haitian Artists: Maurice Borno, Jean Chenet, and Luce Turnier », Journal of Haitian Studies, vol. 26, no 1, printemps 2020, p. 37-72
→Gérald Alexis, Peintres haïtiens. Haitian Painters, Paris, Cercle d’art, 2000
Luce Turnier, Recent Works, musée d’Art haïtien, Port-au-Prince (Haïti), 9 novembre – [date inconnue] 1989
→Luce Turnier. Nus et portraits, Le Centre d’art, Port-au-Prince, 25 avril – 5 mai 1978
→Caribbean and Afro-American Women Artists, Acts of Art, New York, 25 juin – 15 juillet 1974
Peintre, graveuse et collagiste haïtienne.
Luce Turnier est une peintre, graveuse et collagiste haïtienne pionnière de la modernité. Ses natures mortes, paysages et dessins aux couleurs éclatantes, créés à Haïti, à New York et à Paris, capturent la riche gamme colorée et le répertoire formel de son île natale. Dans une autre veine, ses portraits peints et dessinés monochromes, aux tons sourds, d’Haïtien·nes issu·es des classes populaires et moyennes reflètent son intérêt pour l’expressionnisme abstrait et le modernisme, et présentent des caractéristiques similaires à celles des œuvres d’artistes africain·es-américain·es tel·les que James A. Porter (1905-1970), Eldzier Cortor (1916-2015) et Loïs Mailou Jones (1905-1998).
L. Turnier est née en 1924 à Jacmel, une ville côtière au sud d’Haïti. Elle commence à dessiner et à prendre des cours d’arts plastiques dès 1937, lorsque sa famille déménage à la capitale. Elle rejoint en 1945 le Centre d’art de Port-au-Prince, récemment ouvert, et devient l’un de ses plus jeunes membres, ainsi que l’une des rares femmes à y être inscrites. Elle y apprend aussi la composition, la conception et le dessin avec le peintre et l’illustrateur Dewitt Peters (1902-1966), le peintre Georges Remponeau (1916-2012) et l’artiste-architecte Albert Mangonès (1917-2002). Elle excelle dans la peinture à l’huile grâce à l’enseignement de Tamara Baussan (1909-1999), peintre née en Russie et installée à Haïti. L. Turnier compte parmi les rares artistes travaillant au Centre d’art au mitan des années 1940 à avoir reçu une formation académique. En 1946, l’une de ses peintures à l’huile, Sarcleur (s. d.), est présentée dans une exposition du musée d’Art moderne de Paris parrainée par l’Unesco.
Les dessins au fusain et au pastel de L. Turnier représentant des femmes sur les marchés, au rendu délicat, font d’elle la première parmi les artistes caribéennes à proposer une image des femmes noires qui ne fasse pas référence, dans son iconographie et dans ses thèmes, à une forte sexualisation ou au vaudou, souvent associés à l’art haïtien : de tels portraits et scènes de genre se distinguent des peintures et des sculptures en métal de thèmes et d’inspirations vaudous que nombre d’artistes autodidactes, tels Hector Hyppolite (1894-1948), Philomé Obin (1892-1986), Rigaud Benoit (1911-1986), Préfète Duffaut (1923-2012) et André Pierre (1914-2005), produisent au Centre d’art à l’époque. En effet, l’un des principes ayant guidé la fondation du Centre en 1944 était la promotion du travail des artistes autodidactes, qui est ainsi devenu un marqueur de l’esthétique haïtienne – et des œuvres d’inspiration moderniste comme celles de L. Turnier ne correspondent pas à ce qui est alors en train d’être constitué comme canon de l’art haïtien sur les scènes nationale et internationale.
Après sa formation au Centre d’art de Port-au-Prince, L. Turnier étudie en 1948 à l’Art Students League à New York, grâce à une bourse financée par les gouvernements français et haïtien. Elle y suit l’enseignement des peintres Morris Kantor (1896-1974) et Harry Sternberg (1904-2001). Puis elle continue ses études à Paris, à l’académie de la Grande Chaumière, de 1951 à 1953, par le biais d’une bourse de la Rockefeller Foundation. Dans ces deux institutions, elle intègre des ateliers de dessin et de peinture d’après le modèle vivant et se familiarise avec le portrait ainsi qu’avec l’expressionnisme abstrait. Aux mois de juillet et d’août 1953, elle bénéficie de deux expositions individuelles à Hambourg, en Allemagne, l’une au Künstlerclub Die Insel et l’autre à la Altbau der Kunsthalle, qui connaît ensuite des étapes à Düsseldorf et à Munich.
L. Turnier retourne à Haïti en 1972. Entre 1945 et 1990, ses œuvres sont continuellement exposées à Paris, aux États-Unis et à Haïti. Ses nombreux voyages transatlantiques ont été centraux dans sa formation artistique moderniste, qui est un mélange culturel créole haïtien formé dans les communautés afrodiasporiques d’Haïti, de Paris et de New York. Récemment, une plus grande attention a été portée par les chercheurs et chercheuses à son œuvre, dont l’importance au sein de l’histoire de l’art caribéen, de l’art moderne haïtien et du modernisme noir de la diaspora africaine a fait l’objet d’un examen critique. L. Turnier est morte à Paris le 22 avril 1994.
Une notice réalisée dans le cadre du programme « The Origin of Others. Réécrire l’histoire de l’art des Amériques, du XIXe siècle à nos jours » en partenariat avec le Clark Art Institute.
© Archives of Women Artists, Research and Exhibitions, 2023