Marianne Berenhaut. De bon cœur / De Bunker, cat. exp., Recklinghausen, Kunsthalle Recklinghausen (27 août-12 novembre 2023).
→Alicja Melzack, Marianne Berenhaut, mine de rien, cat. exp., Genk, CIAP and C-mine (23 octobre 2021-16 janvier 2022), Genk, FLACC-CIAP, 2022.
→Marianne Berenhaut, Conversation avec Nadine Plateau, Gerpinnes, Tandem, 2018.
→Thierry de Duve, « Vie privée », dans Marianne Berenhaut. Sculptures, cat. exp., Braine-l’Alleud, Centre d’art Nicolas de Staël (15 mars-6 avril 2003), Braine-l’Alleud, Centre d’art Nicolas de Staël, 2003.
Marianne Berenhaut. De bon cœur / De Bunker, Kunsthalle Recklinghausen, Recklinghausen, 27 août-12 novembre 2023
→Marianne Berenhaut. Mine de rien, CIAP / Jester and C-mine, Genk, 23 octobre 2021-16 janvier 2022
→Marianne Berenhaut. Endroit Anvers, musée d’Art contemporain, Anvers, 11 septembre 2021-9 janvier 2022
Sculptrice, dessinatrice et plasticienne belge.
Dans son art, Marianne Berenhaut nous livre un regard singulier sur le monde depuis le point de vue critique d’une femme qui, enfant durant la Shoah, a grandi cachée avec son frère jumeau dans un orphelinat catholique. Son œuvre parle de la souffrance, des dommages et des cicatrices qui demeurent sous forme de traces dans la société : les marques du manque et de la perte, de l’inquiétante absurdité et du trauma, du comique involontaire et de la mémoire.
Dans les années 1960, M. Berenhaut est diplômée de l’Académie du Midi et de l’atelier de Jacques Moeschal (1913-2004), à Bruxelles. Son langage visuel inimitable, dans lequel création et survie sont intrinsèquement liées, se manifeste d’abord par des constructions sculpturales faites de plâtre et de fil de fer, comme des tentatives de guérir le vide domestique laissé par les blessures de la guerre : Maisons-sculptures (1964-1969). De cette série ne restent que des photographies d’archives. Suivent les Poupées-poubelles (1970-1979 et en cours), faites de restes de tissus et de matériaux souples mis au rebut, qui confèrent à ces figures une forme de sensualité. Ces œuvres nous rappellent fortement le corps fragmenté, comme dans la théorie de l’objet partiel élaborée par Melanie Klein, plus tard développée par Donald Winnicott comme le concept d’objet transitionnel. Dans l’œuvre emblématique de M. Berenhaut, les Poupées-poubelles forment un groupe hautement signifiant de sculptures, assemblées pêle-mêle, rembourrées, aux organes incontrôlables et aux membres mous désarticulés. Ces figures sont maintenues ensemble, à peine, par le délicat filament d’un collant, matériau parfaitement ambigu pour les artistes féministes. Une installation notable est celle de quarante-neuf poupées assises sur des chaises dans l’église Saint-Loup de Namur (2008). Ces poupées, comme des doudous usés, sont déformées, tordues : corps-choses, corps rembourrés et abîmés.
Survivante de la Shoah, M. Berenhaut semble avoir une fascination et même une affection pour le corps abject, le corps marginal et inconvenant, le corps hybride, le corps défectueux, battu, éviscéré et tordu – rempli de tout et n’importe quoi –, une fascination pour le corps qui triomphe de tout, le corps-ventre, sans tête, sans visage, le corps-objet. Vues ensemble, les Poupées-poubelles convoquent l’image de la violence collective, de la dégradation et de la destruction. Dans le même temps, il émane de cet imbroglio chaotique une forme d’amusement et d’ambivalence ironique, née du quotidien de la vie domestique. Certaines poupées contiennent des ustensiles trouvés et des objets récupérés : un accordéon, une passoire, une broderie, une horloge cassée ou un parapluie troué ; d’autres consistent en des morceaux de vêtements roses ou turquoise éclatant – des matériaux que l’artiste a collectés dans la rue ou rassemblés au quotidien, dans le monde qui l’entoure, et qu’elle a transformés en des sculptures puissantes mais fragiles et dans des installations évocatrices. Pour citer M. Berenhaut : « Je ne suis pas contrariée lorsque je regarde les Poupées-Poubelles. Elles sont un miroir de ce que je suis bout par bout. Ça me sort par tous les pores, et en même temps je suis pénétrée, envahie, dépossédée. Pourtant, dans cette peau si fine, je grandis et je vis. »
À côté de ses sculptures, M. Berenhaut continue sa pratique du dessin dans les Cahiers-collages. De 1980 à 2000, elle expérimente en mettant en scène des objets, du mobilier et des vêtements dans de petites configurations ou dans des installations à grande échelle, composées d’une myriade d’objets trouvés. La série est intitulée Vie privée et, là encore, elle met en lumière l’abandon et le désespoir mais aussi, et de manière éloquente, le foyer et la maternité – « une vraie archéologie du quotidien ». Depuis 2015, son œuvre poétique continue de s’ouvrir à un plus grand sens de l’intimité, de la jouissance et du jeu, avec de l’humour et une dose de surréalisme qui ont toujours été présents dans ses œuvres : Bits and Pieces (2020).
Considérée par beaucoup comme une « grande dame » de l’art belge, M. Berenhaut a largement travaillé en dehors des contextes institutionnels, dans le cadre, d’abord, des manifestations féministes des années 1970, mais aussi de tournées avec des troupes de théâtre et de performances dans les rues et les parcs publics. Récemment, bien que son travail s’étende sur plus de six décennies, on observe un intérêt renouvelé pour son œuvre fascinante, avec d’importantes expositions individuelles et rétrospectives au musée d’Art contemporain d’Anvers et à la Kunsthalle Recklinghausen. L’art de M. Berenhaut peut aussi être vu dans les collections du Frac Grand Large – Hauts-de-France et au musée du Peuple juif, en Israël. À l’âge de quatre-vingt-dix ans, l’artiste livre des œuvres plus vives et plus spirituelles que jamais.