Critique

Sur les traces de Sophie Calle et de Serena Carone, Beau doublé, monsieur le marquis !

24.11.2017 |

Sophie Calle, Le Chasseur français, 2017, 12 textes sérigraphiés, 67 x 81 cm, © Musée de la Chasse et de la Nature, Sophie Calle / ADAGP – Cliché : Béatrice Hatala

Sophie Calle dissémine ses œuvres (à côté de celles de Serena Carone qu’elle a invitée) au musée de la Chasse et de la Nature à Paris. Dans un parcours qui prend la forme d’une traque, on cherche l’artiste et ses œuvres – les deux étant intimement et explicitement liées – au milieu des armes de chasse, des trophées et des animaux.

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Sophie Calle, Souris, 2017, Courtesy Perrotin, © Sophie Calle / ADAGP, Paris

Texte : Fabio l’a embrassé. Camille lui a murmuré à l’oreille sa chanson She Was. Florence l’a caressé. Anne l’a endormi. Il est mort. Maurice a creusé un trou dans le jardin. J’ai installé Souris dans un petit cercueil en bois blanc qui servait de modèle aux représentants de commerce avant l’usage de la photographie. Trop petit. Ses pattes de derrière dépassaient. Yves l’a enterré. Serena a planté des jonquilles autour de la tombe. J’ai reçu un message sur mon téléphone : Sophie, je suis désolé pour ton chat. Peux-tu dire à Camille de rapporter des légumes notamment poireaux et navets si elle en trouve ? Je t’embrasse.

Le premier contact est celui de la mort : la mort de son père, la mort de son chat Souris. Dans une salle aux airs de mausolée, on croise les yeux, la tombe même, les mains de son père disparu récemment. Les murs blancs sont des pages où Sophie Calle explique, documente son intérêt pour les animaux naturalisés. Mes morts (2017), ce sont des êtres chers, décédés ou vivants, que l’artiste enferme symboliquement dans ces peaux animales. Le texte accompagne Deuil pour deuil (2017), une installation dans laquelle Serena Carone représente son amie en une sculpture grandeur nature, à l’instar d’une effigie mortuaire, vêtue d’une robe d’insectes de faïence façon Bernard Palissy, les doigts pleins de bagues ornées d’yeux, qui préside l’assemblée des défunts.

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Serena Carone, Deuil pour deuil, 2017, faïence émaillée, © Musée de la Chasse et de la Nature -Serena Carone / ADAGP – Cliché : Béatrice Hatala

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Sophie Calle, de la série Histoires vraies, 2017, © Musée de la Chasse et de la Nature –Sophie Calle / ADAGP – Cliché : Béatrice Hatala

Les objets et les textes se trouvent également à l’étage, insérés dans un véritable jeu de piste. Les pages sont bavardes, l’artiste s’échappe cependant. On note sa présence, son absence plutôt, à ces objets posés, à ces mises en situation, comme si elle venait de les quitter. C’est particulièrement visible dans La Dispute (1992), où la chaise renversée et les objets jetés à terre ressemblent à une scène de crime qu’on vient seulement de déserter. Les objets réactivent les souvenirs de ses performances, on reconnaît des éléments familiers de l’art de Sophie Calle ; les draps de lit, sagement repassés et pliés, convoquent son lit, dans lequel elle a fait dormir des inconnus en 19791. On croise aussi des fantômes, notamment celui de Greg Shephard au détour d’une des nombreuses Histoires vraies (1988-2003) enchâssées dans de petits cadres kitsch.

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Sophie Calle, de la série Histoires vraies, 2017, © Musée de la Chasse et de la Nature –Sophie Calle / ADAGP – Cliché : Béatrice Hatala

La collecte, enfin, comme moyen de documenter la vie des autres cette fois-ci, est au bout de la visite. Intitulé Le Chasseur français (2017), cet ensemble est constitué de petites annonces repérées de la fin du XIXe siècle à nos jours dans différents journaux – Le Chasseur français, Le Nouvel Observateur –, puis sur des sites internet – Meetic et Tinder. Publiées par des hommes, ces bouteilles à la mer retracent à leur tour la diversité des types féminins désirés selon les époques. On constatera que le canon rubénien fut en vogue dans les années 1990, tandis que quelques décennies plus tôt on trouvait de cinglants « Aventurières s’abstenir », « Autoritaire exclue ». La recherche, tantôt drôle et tendre, tantôt tragique, souvent comique, s’accompagne d’une série de photographies, À l’espère (2017), exposées dans la salle attenante. Montrant les espaces publics d’attente, désertés, ces images se font l’écho mélancolique des annonces matrimoniales et, ainsi, de l’absence de l’autre, d’une existence solitaire.

Sophie Calle et Serena Carone, Beau doublé, monsieur le marquis !, du 10 octobre 2017 au 11 février 2018, au musée de la Chasse et de la Nature (Paris, France).

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En 1979, Sophie Calle a demandé à des inconnus de venir dormir dans son lit ; elle les a photographiés dans leur sommeil. De ces rencontres il résulte des textes, un livre, ainsi que Les Dormeurs, une série de photographies, dont quelques-unes sont visibles sur le site de la galerie Emmanuel Perrotin, https://www.perrotin.com/fr/artists/Sophie_Calle/1/les-dormeurs/7366, consulté le jeudi 9 novembre 2017.

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Pour citer cet article :
Eva Belgherbi, « Sur les traces de Sophie Calle et de Serena Carone, Beau doublé, monsieur le marquis ! » in Archives of Women Artists, Research and Exhibitions magazine, [En ligne], mis en ligne le 24 novembre 2017, consulté le 16 avril 2024. URL : https://awarewomenartists.com/magazine/traces-de-sophie-calle-de-serena-carone-beau-double-monsieur-marquis/.

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