La présente publication fait suite à une journée d’étude qui s’est déroulée le 14 mai 2018 aux Beaux-Arts de Paris. Intitulée « La performance : un espace de visibilité pour les femmes artistes ? », cette journée s’inscrivait dans le cadre du programme de recherche interdisciplinaire « Visibilité et invisibilité des savoirs des femmes : les créations, les savoirs et leur circulation, XVIe-XXIe siècles ». Porté par Caroline Trotot au sein du laboratoire Littératures, Savoirs et Arts (LISAA) de l’université Paris-Est — Marne-la-Vallée en 2017-2018, ce programme a bénéficié, pour cette journée d’étude et pour cette publication, du soutien et de la collaboration active de l’association AWARE : Archives of Women Artists, Research and Exhibitions. Un des objectifs était d’étudier comment l’œuvre créatrice ou encore l’usage du corps pouvaient donner lieu à des stratégies de détournement permettant d’interroger les mécanismes de visibilité et d’invisibilité qui régissent les savoirs des femmes. La performance s’est en conséquence imposée comme un terrain imbriquant conjointement ces aspects du corps et de l’œuvre, d’autant qu’elle a, dans son histoire, été en grande partie investie par les femmes.
Cet article s’intéresse au cinéma élargi, une forme particulière de performance qui n’a pas reçu toute l’attention qu’elle mérite et qui a pourtant été investie par de nombreuses femmes artistes au service d’un projet féministe plus ou moins conscient et articulé. Dans les années 1960 et 1970, des cinéastes expérimentales, des plasticiennes et des chorégraphes ont introduit une dimension live dans l’événement de projection cinématographique et souvent juxtaposé corps réels et corps filmés pour dénoncer l’idéologie patriarcale au cœur du dispositif cinématographique et ouvrir des espaces de transformation, de résistance aux cadres normatifs imposés aux corps et aux désirs féminins. En confrontant le corps à ses images préenregistrées, elles ont souligné les écarts entre la représentation des femmes et leurs expériences vécues. Elles ont également mis en lumière la performativité de la vie quotidienne et la construction des rôles sociaux par la répétition, anticipant ainsi les développements théoriques ultérieurs sur la performativité du genre.
Maud Jacquin est historienne de l’art et commissaire d’exposition. Son doctorat, soutenu en 2013 à l’University College London, portait sur les formes et les enjeux politiques du récit dans le cinéma expérimental et la vidéo féministe. Ces recherches ont donné lieu à plusieurs projets, notamment à une rétrospective des films de Maria Klonaris et Katerina Thomadaki au Jeu de paume à Paris (2016), ainsi qu’à un important programme de projections et performances intitulé From Reel to Real: Women, Feminism and the London Film-makers’ Co-operative à la Tate Modern et à la Tate Britain à Londres (2016). Elle est également codirectrice d’Art by Translation, un programme de recherche et d’expositions porté par l’École supérieure d’art et de design — TALM–Angers et l’École nationale supérieure d’arts de Paris- Cergy (ENSAPC) impliquant des étudiants et des institutions partenaires (centres d’art, écoles d’art, universités) dans quatre pays.