Deniz Bilgin (née Akçin) est une artiste pluridisciplinaire qui s’essaye à plusieurs médiums au cours de sa carrière : illustration, peinture et batik. De 1974 à 1979, elle étudie le graphisme au London College of Printing (désormais inclus au sein de l’Université des arts de Londres). Une fois son diplôme obtenu, D. Bilgin vit un temps à Singapour et parcourt l’Indonésie avant de s’installer à Istanbul. Elle commence à s’intéresser à la technique du batik pendant son séjour à Singapour et consacrera près d’une décennie à cette pratique. Ses batiks sont présentés lors de ses premières expositions individuelles en 1984, l’une à la galerie Taksim à Istanbul et l’autre à la Dost Sanat Ortamı à Ankara, toutes deux des galeries d’art respectées en Turquie à cette époque. Cependant, la hiérarchisation des genres artistiques, prédominante dans la Turquie des années 1980, empêche malheureusement ses batiks d’être reconnus à leur juste valeur. Pour cette raison, il est probable que l’artiste se soit sentie obligée d’adopter des techniques plus communément associées aux beaux-arts. Ainsi, D. Bilgin se met à expérimenter avec la gouache en 1988, avant de passer à la peinture à l’huile.

L’iconographie de D. Bilgin se compose souvent de figures hybrides qui évoquent une sensation de fluidité et de fusion de l’humain et du non-humain, ce qu’accentuent d’étonnants arrière-plans très détaillés. Ces œuvres sont perçues comme des représentations mythologiques et généralement réduites à de simples compositions esthétiques ou ornementales. Pourtant, à les regarder de plus près, notamment dans le choix des matériaux, techniques et sujets, on constate que celles-ci reflètent les préoccupations de D. Bilgin quant aux injustices passées et présentes, nourries par son parcours de vie et ses rencontres interculturelles. Par exemple, la gouache Full Moon (1996) figure deux êtres célestes volant à travers le ciel nocturne à la lueur d’une lune bleue. Présentés comme deux images inversées, avec leurs plumages et leurs têtes pointues cyclopéennes, ces êtres sont encerclés par une autre entité serpentine. L’œuvre met en avant la notion de l’Autre en montrant le lien indestructible qui nous lie à l’autre en construction, tout en reflétant les questions que se pose l’artiste sur les mondes au-delà de l’existence humaine.

En parallèle de son travail d’artiste, D. Bilgin illustre également des couvertures de livres et de revues. Elle participe activement à la fondation du périodique stambouliote Defter en 1988, en collaboration avec un groupe d’universitaires et d’écrivains. Plus de la moitié des couvertures sont illustrées par D. Bilgin, donnant à la revue une identité visuelle unique et la distinguant ainsi des autres publications périodiques de l’époque. Dès lors, ses illustrations ornent les couvertures de multiples publications, y compris des œuvres de fiction et de poésie.

D. Bilgin décède prématurément en 1999 à la suite de problèmes de santé mentale. Après sa mort, son art est mis à l’honneur lors de nombreuses expositions rétrospectives, notamment à la galerie Nev d’Ankara et aux galeries Karşı Sanat Çalışmaları et Dirimart d’Istanbul. Ses œuvres sont aussi présentées lors de grandes expositions d’art moderne turc, notamment Modern and Beyond (2007) à Santralistanbul et I-You-They: A Century of Artist Women (2021-2022) à Meşher, Istanbul.