Lebovici Élisabeth, Zoe Leonard, cat. expo., Centre national de la photographie, Paris (9 septembre – 2 novembre 1998), Paris, Centre national de la photographie, 1998
→Geldin Sheri (dir.), Analogue / Zoe Leonard, cat. expo., Wexner Center for the Arts, Columbus (12 mai – 12 août 2007), Cambridge, The MIT Press, 2007
Zoe Leonard: Photographs, Fotomuseum Winterthur, Zurich ; Museum Moderner Kunst Stiftung Ludwig, Vienne ; Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid, 2007-2009
Photographe, artiste multimédia et activiste états-unienne.
Autodidacte, Zoe Leonard a expérimenté conjointement la photographie et le militantisme. Dès le début des années 1980, au lieu de pratiquer une photographie plasticienne qui rivalise alors avec le tableau grâce à ses avancées technologiques et son format pictural, elle s’attache à la forme et à la texture du tirage argentique, auquel elle apporte un soin extrême, respectant souvent un long temps de pose après la prise de vue. Ses premières photographies de nuages à travers le hublot d’un avion (Untitled, 1989), de chemins de fer (Untitled Aerial, 1986) de chutes d’eau (Niagara Falls, 1986-1991), de plans de ville dépliés (Map of Krakow, 1988-1990), ses vues urbaines nocturnes (Paris, 1986) portent d’emblée les accidents, marques et cicatrices de l’usage, y compris de ce qui « arrive » au cours de la fabrication de l’image, le procès de l’« épreuve » photographique. Ces petites imperfections sont, pour l’artiste, le fer de lance d’une résistance aux normes (sociales, genrées, sexuelles). L’activisme de Z. Leonard, au sein d’Act Up à New York, mais aussi de plusieurs groupes d’artistes lesbiennes, dont Gang et Fierce Pussy (réactivé en 2010), fait le lien entre « zap » politique (actions publiques, spectaculaires, exprimant la colère des militants contre telle administration ou tel organisme) et représentation visuelle.
Ses images décrivent les conventions sociales et sexuelles, comme autant d’instruments de contrôle : Chastity Belt (Ceinture de chasteté, 1990-1993) ; Beauty Calibrator (Calibrateur de beauté, 1993). L’installation de la Documenta 9 à Kassel en 1992 constitue l’un des points culminants de sa critique : les salles de la Neue Galerie sont vidées de leur peinture classique ou romantique ; seuls sont épargnés des tableaux où des femmes, représentées par un pinceau masculin, figurent en position centrale, tandis que les places vacantes sont occupées par de modestes photographies en noir et blanc de vulves, en plan rapproché, des amies de l’artiste, inversant à la fois le genre des représentations muséales et le point de vue de l’hétérosexualité. L’installation Strange Fruit (for David) (1992-1997), composée de quelque 300 peaux de fruits, cousues et « réparées » avec des fils colorés et des badges, est dédiée à son ami, l’artiste David Wojnarowicz, mort du sida. Cette œuvre traduit aussi le processus du travail de deuil et, quoique achetée par le musée de Philadelphie pour sa collection, est destinée elle-même à périr un jour.
L’artiste développe également un corpus de travaux sculpturaux (des arbres reconstitués, une inquiétante assemblée de poupées abimées, des piles de valises) ou éditoriaux (des livres d’images et de citations, entre autres) ; elle crée, de toutes pièces, un important ensemble d’archives destiné à documenter la biographie fictive d’une actrice noire et lesbienne dans le Hollywood des années 1930, pour le film de la cinéaste Cheryl Dunye, The Watermelon Woman (1996). De 1998 à 2007, elle se lance dans Analogue, un vaste et poignant projet à partir de son voisinage, le Lower East Side new-yorkais alors en pleine « gentrification » ; armée d’un appareil Rolleiflex analogique de format 6 x 6 (au moment où le digital est sur le point de triompher), elle entreprend de capter chaque vitrine des commerces de détail en voie de disparition, menacés par l’expansion des grandes marques et des malls. Cet inventaire d’enseignes de modistes et de coiffeurs, de quincailleries et de chausseurs, de réparateurs de télévision documente ainsi les vagues d’immigration concomitantes au « développement » des images médiatiques d’un New York, capitale du XXe siècle. Fascinée par le recyclage des textiles, l’artiste suit aussi pas à pas le parcours des ventes de vêtements usagés, portés à nouveau, puis, une fois de plus, revendus, en lots, à travers le monde. Elle va jusqu’à Cuba, en Asie ou en Ouganda pour photographier les divers styles de devantures et le ballotement des choses dans l’économie globale : soit plus de 10 000 photos, dont environ 400, sélectionnées par ses soins en vue d’un livre et de plusieurs expositions – organisées en différents chapitres et cartographies – de ce qu’elle appelle, avec modestie, « le quotidien de sa vie courante ». Z. Leonard a exposé dans de nombreuses institutions internationales.