Critique

Frida Kahlo : l’invention de soi, l’invention de l’œuvre

20.10.2018 |

Frida Kahlo avec une figurine olmec, 1939, © Photo : Nickolas Muray

L’exposition du Victoria and Albert Museum (V&A) consacrée à Frida Kahlo (1907-1954) est construite autour d’un événement singulier : l’ouverture en 2004 de sa salle de bains à la Casa Azul (aujourd’hui Museo Frida Kahlo) à Mexico, scellée depuis sa mort par son époux, Diego Rivera (1886-1957), et la découverte consécutive de ses effets personnels – vêtements, bijoux, nécessaires de toilette et de maquillage, pharmacie, mais aussi lettres et photographies. Exhumés et restaurés par les équipes du musée, ils éclairent l’œuvre de F. Kahlo d’un jour nouveau et révèlent combien l’artiste a fait de son allure un prolongement de son art.

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Frida Kahlo, Autoportrait, 1948, huile sur toile, © Banco de México, Fiduciary of the Trust of the Diego Rivera and Frida Kahlo Museums, © ADAGP, Paris

Le V&A, dédié rappelons-le aux arts décoratifs, au design et au costume, met donc en perspective les enjeux de l’art mexicain de la première moitié du XXe siècle (respect des pratiques locales, références populaires et traditionnelles, etc.), le travail de F. Kahlo et cet ensemble unique. Les premières salles s’organisent autour de la partie la plus documentaire du fonds. Elles montrent F. Kahlo fillette, première communiante, puis jeune femme étonnamment vêtue d’un costume trois pièces, devant l’objectif de son père photographe. En 1925, l’accident de bus dont elle est victime l’éloigne de la carrière de médecin à laquelle elle aspirait. Alitée de longs mois, elle trompe l’ennui en réalisant ses premiers autoportraits : souffrance physique et peinture seront à jamais associées. Puis, passionnée par la révolution de 1910, elle s’engage en faveur du Parti communiste mexicain ; après sa rencontre avec Diego Rivera, l’art sera au centre de sa vie. F. Kahlo commence alors à porter certains vêtements ethniques, avec un goût de plus en plus prononcé pour le costume tehuana, qui va de pair avec son intérêt pour l’art préhispanique, mais aussi des pièces européennes ou chinoises.

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Ensemble de l’Isthme de Tehuantepec, © Photo : Javier Hinojosa, © Archives Diego Riviera et Frida Kahlo, Banco de México, Fiduciary of the Trust of the Diego Riviera and Frida Kahlo Museums

Le parcours de l’exposition continue avec l’introduction de certains des effets personnels de F. Kahlo. Les commissaires analysent les liens entre l’invention de sa silhouette et sa peinture : au spectaculaire – ses corsets de plâtre décorés de motifs également visibles dans ses tableaux de chevalet – répondent des objets plus banals, à l’exemple de ses bâtons de rouge à lèvres et de ses flacons de vernis, aux tons aussi vifs que sa palette.
La dernière salle, enfin, est saisissante : autour d’une quinzaine de tenues de l’artiste se déploient autoportraits, bijoux et photographies. Tout en restituant sa présence magnétique, cet espace rend compte de son intuition des enjeux sémiotiques et de la puissance discursive du vêtement.

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Prothèse de jambe avec chaussure en cuir et en soie brodée de motifs chinois, © Photo : Javier Hinojosa, © Archives Diego Riviera et Frida Kahlo, Banco de México, Fiduciary of the Trust of the Diego Riviera and Frida Kahlo Museums

Si on est convaincu·e par le rapport établi entre l’attention extrême portée par F. Kahlo à son apparence, et ce en toutes circonstances, la reconstruction du corps mutilé, l’affirmation politique d’une identité métissée et son œuvre même, on regrette l’exaltation de la douleur intime : les vitrines consacrées aux médicaments, par exemple, ne semblent pas indispensables à la démonstration. Réjouissons-nous tout de même de la poursuite de l’étude d’archives d’ordinaire jugées triviales (vêtements, accessoires, etc.) par le monde académique, inaugurée en 2017 par le Brooklyn Museum, à New York, avec l’exposition Georgia O’Keeffe: Living Modern. Dans le cas de F. Kahlo, elle parvient paradoxalement à redonner sa complexité à une œuvre souvent occultée par le mythe pop qu’est devenue l’artiste, bien malgré elle.

 

Frida Kahlo: Making Her Self Up, du 16 juin au 18 novembre 2018, Victoria and Albert Museum (Londres, Royaume-Uni).

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Pour citer cet article :
Camille Viéville, « Frida Kahlo : l’invention de soi, l’invention de l’œuvre » in Archives of Women Artists, Research and Exhibitions magazine, [En ligne], mis en ligne le 20 octobre 2018, consulté le 28 mars 2024. URL : https://awarewomenartists.com/magazine/frida-kahlo-linvention-de-soi-linvention-de-loeuvre/.

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