Critique

Norma par Kara Walker

16.02.2016 |

Kara Walker, Norma, 2015, graphite sur papier, 30,9 x 38,1 cm, Courtesy Kara Walker, Sikkema Jenkins & Co., New York et Victoria Miro, Londres © Kara Walker

Pour sa deuxième exposition consacrée à l’artiste américaine Kara Walker en 2015, la galerie Victoria Miro à Londres exposait les dessins préparatoires qu’elle a réalisés en vue de son adaptation de Norma, opéra phare de Vincenzo Bellini.

Norma par Kara Walker - AWARE Artistes femmes / women artists

Kara Walker, Norma Sculptural Costume, 2015, aquarelle et graphite sur papier, 40 x 52 cm, Courtesy Kara Walker, Sikkema Jenkins & Co., New York et Victoria Miro, Londres © Kara Walker

Norma par Kara Walker - AWARE Artistes femmes / women artists

Kara Walker, Norma Impressions, 2015, aquarelle sur papier, 97 x 127 cm, Courtesy Kara Walker, Sikkema Jenkins & Co., New York et Victoria Miro, Londres © Kara Walker

Kara Walker est connue pour son exploration féroce de l’histoire de l’esclavage et de ses conséquences sur les rapports de race et de sexe dans l’Amérique d’aujourd’hui, thèmes souvent abordés à travers le détournement ironique et visuellement violent de stéréotypes actuels. Dans ses silhouettes en noir et blanc découpées dans du papier, qui sont devenues sa marque de fabrique, la présence conjointe des deux couleurs souligne leur opposition symbolique dans le contexte racial des États-Unis. Mais l’artiste se sert de tous les mediums, de la peinture à la performance en passant par la vidéo, et plus récemment la sculpture. Cette année, c’est à la mise en scène et à la réalisation de costumes d’opéra qu’elle s’est essayé, invitée par le commissaire d’exposition Okwui Enwezor à investir le Teatro La Fenice à l’occasion de la 56e Biennale de Venise. Les corps noirs, et précisément les corps noirs féminins et leurs représentations, sont un thème omniprésent dans son œuvre et son adaptation de Norma ne fait pas exception.

Norma par Kara Walker - AWARE Artistes femmes / women artists

Kara Walker, Pollione Draft 2, Adalgisa Version 1, Chorus, 2015, pastel sur papier, 97 x 127 cm, Courtesy Kara Walker, Sikkema Jenkins & Co., New York et Victoria Miro, Londres © Kara Walker

L’action n’est plus située dans une Gaulle envahie par les Romains en – 50 avant J.-C. comme dans la pièce originale, mais dans une colonie africaine non identifiée le long du fleuve Ogooué, peut-être au Gabon ou au Congo, occupée par un pouvoir européen vers la fin du XIXe siècle. La pièce narre l’histoire de Norma, une prêtresse africaine de grande influence qui est la maîtresse de Pollione, chef de la délégation coloniale. Pollione se désintéresse de Norma et tombe amoureux d’une autre. La pièce raconte cette trahison et la colère de Norma qui, réalisant la trahison qu’elle a elle-même commise envers son propre peuple en tombant amoureuse de l’oppresseur, finit par se jeter dans les flammes, suivie par Pollione. Ces événements dramatiques se déroulent dans un contexte de révolte du peuple opprimé, menée par le père de Norma, Oroveso, et situent la femme noire et ses affects au centre des enjeux politiques, interrogeant son statut et ses représentations dans la société d’aujourd’hui.

Norma par Kara Walker - AWARE Artistes femmes / women artists

Kara Walker, Masks, 2015, aquarelle sur papier, 127 x 97 cm, Courtesy Kara Walker, Sikkema Jenkins & Co., New York et Victoria Miro, Londres © Kara Walker

En mettant en scène ces symboles, ces clichés, qui sont les signes de l’africanité et de la féminité noire telles qu’elles ont été construites en Occident depuis la colonisation – comme la présence de masques, de corps dénudés, tatoués et sexualisés – l’artiste entend confronter le public frontalement avec ces constructions. L’exposition à la galerie Victoria Miro présente les études préparatoires des thèmes qu’elle a cherché à explorer et nous invite à découvrir les images qu’elle a visualisées au cours du processus créatif. Les silhouettes de papier, en noir et blanc, qui nous rappellent cette opposition historique entre colonisés et colonisateurs, sont évidemment présentes, mais sont également montrés des dessins colorés au pastel, à l’aquarelle ou encore des gravures. On y trouve des portraits des personnages principaux, des Norma tout en grandeur et volupté, dénudées ou parées de robes et bijoux colorés, ainsi qu’un Pollione à l’aspect assez gauche, et dont le corps est, quant à lui, recouvert de vêtements. On note également l’importance des masques, exposés sous forme de maquettes de papier.

Norma par Kara Walker - AWARE Artistes femmes / women artists

Kara Walker, Stage as Mask, 2015, 21,6 x 29,4 x 6,5 cm, Courtesy Kara Walker, Sikkema Jenkins & Co., New York et Victoria Miro, Londres © Kara Walker

Les masques africains, collectionnés depuis le début du XXe siècle en particulier, et considérés comme ayant fortement influencé le développement de l’art moderne à travers le courant primitiviste, continuent de fasciner en Occident aujourd’hui. Leur abondance nous signale ici l’ancrage contextuel de la pièce, et ils deviennent les symboles d’une Afrique imaginaire, qui ne semble exister qu’au travers du regard exotisant de l’homme occidental. Ainsi, le décor de la scène est composé en apparence de montagnes qui sont en réalité des masques, sur lesquels l’action repose, nous rappelant la difficulté qui demeure à représenter l’Afrique sans se référer aux constructions symboliques dont elle a fait l’objet.

À la galerie Victoria Miro, Londres, du 13 novembre au 16 janvier 2016.

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