Lippard Lucy, Eva Hesse, New York, New York University Press, 1976
→Cooper Helen A, Berger Maurice, Eva Hesse: A Retrospective, New Haven, Yale University Art Gallery, 1992
→Corby Vanessa, Eva Hesse: Longing, Belonging and Displacement, Londres, I. B. Tauris, 2010
Eva Hesse : a memorial exhibition, Solomon R. Guggenheim Museum, 8 décembre 1972 – 11 février 1973
→Eva Hesse, galerie nationale du Jeu de paume, Paris, 27 avril – 20 juin 1993
→Eva Hesse, San Francisco Museum of Modern Art, San Francisco, 12 février – 19 mai 2002 ; Museum Wiesbaden, Wiesbaden, 15 juin – 13 octobre 2002
Sculptrice états-unienne.
D’origine allemande, Eva Hesse est associée à la mouvance postminimaliste. L’interprétation de son œuvre, tôt influencée par son destin tragique et sa mort prématurée, se recentre aujourd’hui sur les innovations formelles et les aspects historiquement fondateurs de son travail. Son enfance est marquée par deux drames successifs : l’exil aux États-Unis en 1939 et le suicide de sa mère en 1946. Elle étudie l’art dès 1952, au Pratt Institute puis à la Cooper Union, et enfin à l’université Yale, où elle suit le cours de couleur du peintre Josef Albers. Linda Norden propose de lire ses premières œuvres – des représentations fantomatiques – comme une suite de « portraits introspectifs » (2003). En parallèle, E. Hesse produit un travail abstrait et une activité graphique soutenue, qui se poursuivront jusqu’à son décès. Au cours de sa vie conjugale (1961-1966) avec le sculpteur Tom Doyle, elle peine à trouver sa voie, et à conjuguer les impératifs d’un développement artistique propre avec le rôle d’épouse d’artiste, dans un milieu essentiellement masculin. En 1964-1965, lors d’un séjour en Allemagne, elle s’engage dans la troisième dimension. Lasse de ne pouvoir concrétiser ses intuitions dans le domaine pictural, elle utilise des cordes entreposées dans son atelier pour prolonger les traits du dessin : c’est le début de ses œuvres de maturité, de 1965 à 1970. Ses sculptures sont proches de l’art minimal, dont elle reprend certains codes, comme la répétition des formes et leur addition ou le choix de l’échelle humaine ; elles laissent cependant plus de place à la psychologie et à l’expression de l’individualité de l’artiste que les œuvres de ses confrères et amis minimalistes.
E. Hesse réintroduit dans l’art des domaines abandonnés par le minimalisme, tels que la mémoire ou la sexualité ; elle s’appuie sur son fort sentiment de l’absurde, et cultive l’ambiguïté et le paradoxe. En ce sens, Yve-Alain Bois insiste sur la double ascendance artistique de la sculptrice, certes issue du minimalisme, mais aussi d’une pensée néo-surréaliste (2006). L’usage de matériaux flexibles a aussi conduit à souligner sa parenté avec l’Anti Form de Robert Morris. On peut distinguer trois périodes dans son œuvre sculpté : les années 1965-1966 sont celles de références corporelles explicites, souvent à connotation sexuelle. Les reliefs colorés du début cèdent la place à des objets mystérieux faits de papier mâché et de corde, tel Ingeminate (1965), aux formes phalliques jumelles enroulées chacune dans un étrange fil qui les relie. En 1967-1968, elle travaille sur des matrices graphiques, dont la rigueur apparente est démentie par l’irrégularité des motifs.
Cette recherche sur la grille se décline en trois dimensions avec la série des Accession, boîtes strictement cubiques, de langage minimaliste, dont l’intérieur est tissé d’une toison de tuyaux à connotation organique. Lucy Lippard fait de cette confrontation paradoxale l’une des caractéristiques de la pratique de l’artiste : rigidité-mollesse, précision-hasard, géométrie-forme libre, force-fragilité sont autant de principes constructifs. Cette période est aussi celle d’une intense expérimentation sur des matériaux non conventionnels, comme le latex dès 1966 et la fibre de verre à partir de 1968. Comme une réponse paradoxale à la maladie qui l’emportera deux ans plus tard, ses sculptures deviennent monumentales, sans pour autant perdre leur apparente fragilité. L’œuvre maîtresse de cette période, Contingent (1969), mesure 3,5 mètres de hauteur et 6,3 mètres de profondeur ; constituée de huit éléments verticaux composés d’étoffe et de latex enchâssés dans la fibre de verre, elle est réalisée en partie par des assistants. Fidèle à son goût pour l’aléatoire, la sculptrice accepte toutes les irrégularités induites par ce long processus à plusieurs mains. E. Hesse participe de son vivant à d’importantes expositions, dont When Attitudes Become Forms de Harald Szeemann en 1969. Son œuvre est redécouverte dans les années 1980-1990 par une génération d’artistes sensibles aux transformations psychologiques de l’espace et à la recherche d’une proposition alternative au féminisme militant des années 1970.