Natacha Pugnet, « Maïder Fortuné : Spectres », Revue 20/27, n°6, Paris, Les presses de réel, 2012.
The Beyond within, Kitchener-Waterloo Gallery, Canada (8 octobre 2021 – 6 février 2022), Audain Gallery, Vancouver (2 juin – 6 août 2022), The Robert McLaughlin Gallery, Oshawa (24 septembre 2022 – 12 février 2023)
→Outhere (for Lee Lozano), compétition internationale, FID Marseille (juillet 2021), selection officielle, International Film Festival Rotterdam (janvier – février 2022)
→Communicating vessels, Best short prize, International film festival Rotterdam (2-6 juin 2021); Grand prize, Moscow International Experimental Film Festival (11-16 août 2021); Young Canvas Award, Black Canvas festival, Mexico (1-10 octobre 2021).
Performeuse, artiste visuelle, cinéaste, autrice et enseignante française.
Maïder Fortuné vit et travaille à Paris. Elle y suit une formation littéraire puis théâtrale à l’École Jacques Lecoq, avant d’intégrer le Studio des arts contemporains du Fresnoy à Tourcoing. C’est là qu’elle rencontre l’artiste canadienne Annie MacDonell (1976-), avec qui elle collabore depuis 2015, notamment sur les films Communicating Vessels (2020) et Outhere (for Lee Lozano) (2021). M. Fortuné enseigne le film et l’écriture en école supérieure d’art depuis 2007.
De Totem (2001) à Outhere (for Lee Lozano), l’inquiétante étrangeté imprègne l’univers filmique de l’artiste. Le monde qui s’y invente est résolument artificiel, travaillé par l’incertitude même de la dimension spectrale et mémorielle de toute image. Ses productions ne donnent pas à voir un tout mais le signe fantôme d’autre chose, un reste, une empreinte qui persiste dans le psychisme. Les images que M. Fortuné y convoque s’inscrivent dans l’inconscient collectif, icônes occidentales du monde du merveilleux (Licorne, 2007 ; Curtain !, 2007), de l’industrie du divertissement (Once forever, 2008), du monde du théâtre (Characters, 2008) ou des premiers temps du cinéma (Totem ; Aurore, 2011), ou encore de la littérature, empruntées à Rainer Maria Rilke, Vladimir Nabokov et Virginia Woolf pour Carousel (2015), LEJ (2013), Parnassus Mnemosyne (2015), The Yellow Blind (2015), images qui se font écho les unes aux autres. Tout y est transitoire, instable, voué à de constants glissements, dédoublements, errances, qui ouvrent les représentations à de nouvelles plasticités et plongent les spectateurs et spectatrices dans une véritable expérience de l’image et des procédés que l’artiste met en jeu. C’est la circulation poreuse d’éléments qui fonde et élabore – par répétitions, variations, superpositions – des structures visuelles et narratives non linéaires.
Dans son premier moyen métrage, L’Inconnu de Collegno (2018), M. Fortuné fait se côtoyer passé, présent et futur en revenant sur l’histoire de cet homme amnésique qui, dans l’Italie d’après-guerre, s’est vu attribuer deux potentielles identités, et par elles deux récits sociaux et politiques opposés. Dans Communicating Vessels, elle reprend le geste de Lygia Clark (1920-1988) dans sa performance de Caminhando (1963) et crée un nœud liant de nouveau passé, présent et futur en découpant un ruban de Moebius dans la page imprimée de son curriculum vitae.
La porosité des temporalités gagne aussi les corps, eux aussi altérés : allaitant, enceints, séparés, auscultés… Ceux de M. Fortuné et A. MacDonell au travail, dans leurs pratiques techniques et visuelles, ne restent pas hors champ. Elles opèrent en dialogue avec d’autres corps, reprenant dans Outhere (for Lee Lozano) l’expérience pédagogique d’effacement de l’artiste Lee Lozano (1930-1999). Le travail du film épouse celui d’une sorte de magie noire fusionnant les visages par la matière, le mouvement, la machine, floutant les contours d’une individualité illusoire.Elle devient elles, multipliant les objets, les occasions de transfert. À l’origine, le transfert, du moins sur le plan théorique, n’est qu’un déplacement spécifique d’un affect d’une représentation vers une autre. Par la multiplication des points de vue, la superposition des expériences vécues par les différents corps en présence, par le jeu des signifiants et signifiés convoqués, ces œuvres produisent une expérience unique de rencontre. « Nous utiliserons les images, les mots, les sons, la surface de l’écran et le temps lui-même », disent les réalisatrices protagonistes de Outhere (for Lee Lozano). Elles oublient d’ajouter les corps, les sensations et les mémoires des spectateur·rice·s, qui y participent comme autant de vases communicants.
Une notice réalisée dans le cadre du programme +1.
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