Bouchra Khalili à Proximo Futuro, Gulbenkian Foundation.
© Tatiana Macedo/Next Future Program
Bouchra Khalili, The Mapping Journey Project, 2008-2011.
Vue d’installation, Bouchra Khalili: The Mapping Journey Project, MoMA, New York, 2016. Courtesy de l’artiste et mor charpentier.
Photo: Jonathan Muzikar
L’intensité esthétique et l’acuité politique de la pratique de Bouchra Khalili s’expriment à travers des projets qui visent au renouvellement des narrations marginalisées par les représentations hégémoniques, en particulier celles de communautés ou d’individus exclu·e·x·s de la citoyenneté. Sensible à l’intégrité des récits, consciente des apports comme des limites des luttes politiques et des mouvements de libération, l’artiste exhume des histoires oubliées. Ses projets rompent avec une conception linéaire et unifiée du temps et des aires géographiques, conséquence de l’impérialisme et de la domination coloniale. Ils transcendent les cadres institutionnel, disciplinaire et artistique, et résistent aux assignations.
Bouchra Khalili, The Tempest Society, 2017. Vidéo numérique. 60’.
Vue d’installation, Documenta 14, Athènes, 2017.
Courtesy de l’artiste et mor charpentier. Photo : Stathis Mamalakis
Bouchra Khalili procède par investigation, spéculation et rapprochement. Faisant converger études culturelles, références historiographiques et réflexivité critique, sa pratique entretient des ascendances profondes avec les travaux de figures intellectuelles et artistiques engagées de la seconde moitié du XXe et du début du XXIe siècle, comme Ahmed Bouanani, Frantz Fanon, Jean Genet, Édouard Glissant, Abdellatif Laâbi, Pier Paolo Pasolini, Carole Roussopoulos ou encore Ousmane Sembène. Elle convoque les médiums et les processus de l’image fixe et en mouvement, de la mise en scène, de la traduction, de l’oralité et de la poésie. Documents et témoignages, cités ou produits, en sont le matériau constitutif.
Bouchra Khalili, Lost Boat, fig.2, de The Wet Feet Series, 2012. C-print. 80 x 70 cm. Courtesy l’artiste et mor charpentier
Bouchra Khalili, Sea as Sky, 2018. Sériegraphie sur papier, 80 x 60 cm. Courtesy de l’artiste et mor charpentier
Les projections, rétroprojections et installations vidéo de Bouchra Khalili matérialisent la fragilité, l’intimité et la dignité de la parole d’autrui. Elles recourent à plusieurs champs lexicaux, dont celui de la solidarité et de l’émancipation. Du passé et du présent entremêlés surgissent des récits aux styles directs et indirects libres. Dans The Mapping Journey Project (2008-2011), The Speeches Series (2012-2013), The Tempest Society (2017) et The Magic Lantern Project (2019-2022), les corps et les voix convergent à travers l’énonciation, faisant du langage des opprimé·e·x·s la force agissante de la poésie civile.
Tandis que les sérigraphies fixent la cartographie subjective de tracés humains reliés entre eux, les photographies saisissent l’aura de lieux familiers ou inconnus. Ensemble et séparément, elles invitent à la réminiscence en restituant les traces d’une mémoire collective défaillante. The Constellations Series (2011), The Wet Feet Series (2012) et Sea as Sky (2018) transforment ces trajectoires en portraits et font exister ces espaces autrement, bousculant les notions d’état-nation, de frontière et de pays.
Bouchra Khalili, The Magic Lantern Project, 2019-2022. Installation multimédia, vidéo, objets, 26 sérigraphies et une tapisserie.
Image fixe extrait de la vidéo numérique The Magic Lantern. Couleur, son, 27’13. Courtesy l’artiste et mor charpentier
Par un enchevêtrement d’images, de mots et de gestes, les projets de Bouchra Khalili invoquent la nature transitoire de l’existence humaine et forment des archipels polyphoniques et muables. Ils traduisent avec justesse les continuités et discontinuités de la violence et lui opposent des discours résistants, poétiques et libérateurs, provoquant un bouleversement des consciences. Ils constituent ainsi, pour emprunter les mots de l’artiste, un « appel à une égalité inconditionnelle ».
Théo-Mario Coppola
Bouchra Khalili est née en 1975. Franco-marocaine, elle a grandi entre Paris et Casablanca. Elle réside aujourd’hui à Berlin et Vienne, et travaille de manière itinérante. Résolument transculturels et intersectionnels, ses projets ont été exposés « des deux côtés de la démarcation coloniale1», notamment au Museu de Arte Moderna da Bahia à Salvador (MAM-BA, 2007), aux Rencontres de Bamako (2009 et 2019), au Museum of Modern Art à New York (MoMA, 2011 et 2016), à la Biennale de Venise (2013), à la documenta 14 à Athènes et Cassel (2017), au Jeu de Paume à Paris (2018), au Dhaka Art Summit à Dacca (2020) et au Bildmuseet à Umeå (2021-2022). La transmission fait partie intégrante de sa pratique. Bouchra Khalili est professeure à l’université die Angewandte à Vienne, où elle développe un département dédié à l’enseignement pluridisciplinaire et transversal des « stratégies artistiques ».