Cheryl Ann Bolden, The cost, 2011, os, étiquettes de prix de boucherie, © Cheryl Ann Bolden
Cheryl Ann Bolden, Forest Altar, 2012, os, éléments naturels locaux, poutre, © Cheryl Ann Bolden
Artiste, collectionneuse et archiviste, Cheryl Ann Bolden est la descendante de six générations d’Africain·e·s-Américain·e·s1. Sa démarche artistique s’appuie principalement sur des objets porteurs de mémoire. Elle travaille avec des pièces et des documents originaux qui témoignent de la traite négrière comme des périodes ségrégationnistes et coloniales, aux États-Unis et en Europe. Les gestes qui constituent sa pratique sont les suivants : performer, assembler, archiver et transmettre.
Cheryl Ann Bolden, Space body, 2020, métal, os, plastique, © Cheryl Ann Bolden
Cheryl Ann Bolden, Installation in Cuba, 2014, à El Cimarron, arbre, documents esclavagistes, © Cheryl Ann Bolden
Pour C. A. Bolden, le travail archivistique s’élabore à partir du patrimoine matériel et immatériel : « Je considère mon corps comme une archive, comme une œuvre. » Performeuse, elle interroge et réactive ce lien du corps, de son corps, avec les traces physiques de l’histoire. En 2014, lors d’un voyage à Cuba, elle effectue des libations avec du rhum au pied d’arbres séculaires se trouvant sur les anciens sites où étaient vendues les personnes mises en esclavage, importants lieux de mémoire. Posé sur les racines visibles au pied d’un arbre, un document prouvant l’achat de personnes esclavisées témoigne de ce geste. On peut toutefois se demander si l’on peut tout faire dire aux archives, puisqu’elles parlent du réel sans jamais le décrire2. Dans l’acte d’archiver et de performer, C. A. Bolden viendrait les enrichir, en y apportant de la texture vitale.
L’écrivain états-unien Ta-Nehisi Coates, dans Une colère noire. Lettre à mon fils3, considère que les corps noirs n’appartiennent pas complètement à celles et ceux qui les portent. En raison des violences passées et présentes, Coates défend l’idée selon laquelle ils seraient encore vus et traités comme s’ils étaient dépourvus de subjectivité et, in fine, d’humanité. La destruction des corps noirs est, selon lui, un héritage4. Faisant régulièrement référence à la lignée maternelle dans sa famille, C. A. Bolden traite la question de la transmission du vécu traumatique5 par différents canaux : le récit direct, les objets hérités, la mémoire corporelle subjective.
Cheryl Ann Bolden, Stereotypical Statements about Black Women, 2020, photographie en noir et blanc, © Cheryl Ann Bolden
Cheryl Ann Bolden, Performance à l’INHA, janvier 2023 © Cheryl Ann Bolden
En réactivant des objets destinés a priori au domaine muséal, C. A. Bolden donne au public – issu de la diaspora ou non – la possibilité de se réapproprier ces éléments et leur mémoire, de manière intime et, paradoxalement, dédramatisée. Toucher et considérer le vrai poids d’une chaîne de cheville en fer massif, acquise dans une boutique d’antiquités en Normandie. Déchiffrer sur un bout de papier la facture en anglais pour trois chevaux et deux « nègres » achetés par un même propriétaire à la fin du XIXe siècle. Constater l’évolution de la représentation des visages noirs, qui va d’un livre pour la jeunesse hollandais vieux de plus de 100 ans aux cartes postales américaines et françaises montrant les corps non blancs de manière stéréotypée, voire animalisée.
C. A. Bolden est également connue par son travail Precious Cargo Museum. Il s’agit d’une structure itinérante et d’un projet pédagogique dédié à la transmission aux plus jeunes de l’histoire et de la culture de la diaspora africaine, afin d’activer la dimension collective de ce passé communément vue comme appartenant à un seul groupe.
L’artiste fait libérer la parole à travers ces objets. Et, par cette libération, une certaine guérison s’opère. Dans sa sculpture Afro Healing (2001), des aiguilles sont posées sur un volume constitué de cheveux crépus. C. A. Bolden détecte le point douloureux, le perce, puis laisse la douleur se diffuser jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Ou, mieux, jusqu’à ce qu’elle se transforme.
Danilo Lovisi
Cheryl Ann Bolden est née en 1957 à Newark, dans le New Jersey, aux États-Unis. Artiste, collectionneuse et archiviste, elle vit et travaille à Paris depuis la fin de années 1990. Les gestes qui constituent sa pratique sont les suivants : performer, assembler, archiver et transmettre. De formation pluridisciplinaire, C. A. Bolden a étudié l’art et le design à la Corcoran School à Washington, le design textile et le tissage au Fremantle Art Center à Fremantle en Australie, ainsi que l’acupuncture à la New England School of Acupuncture au Massachussetts. Grande voyageuse, elle a vécu au Mexique, en Allemagne, en Chine, en Australie, au Portugal, en Grande-Bretagne ; elle a également séjourné dans de nombreux pays africains. Non seulement ces expériences ont enrichi son regard, mais elles ont aussi nourri sa collection d’objets et de documents originaux en rapport avec l’histoire des périodes coloniales et ségrégationnistes, que ce soit aux États-Unis ou en Europe.