La présente publication fait suite à une journée d’étude qui s’est déroulée le 14 mai 2018 aux Beaux-Arts de Paris. Intitulée « La performance : un espace de visibilité pour les femmes artistes ? », cette journée s’inscrivait dans le cadre du programme de recherche interdisciplinaire « Visibilité et invisibilité des savoirs des femmes : les créations, les savoirs et leur circulation, XVIe-XXIe siècles ». Porté par Caroline Trotot au sein du laboratoire Littératures, Savoirs et Arts (LISAA) de l’université Paris-Est — Marne-la-Vallée en 2017-2018, ce programme a bénéficié, pour cette journée d’étude et pour cette publication, du soutien et de la collaboration active de l’association AWARE : Archives of Women Artists, Research and Exhibitions. Un des objectifs était d’étudier comment l’œuvre créatrice ou encore l’usage du corps pouvaient donner lieu à des stratégies de détournement permettant d’interroger les mécanismes de visibilité et d’invisibilité qui régissent les savoirs des femmes. La performance s’est en conséquence imposée comme un terrain imbriquant conjointement ces aspects du corps et de l’œuvre, d’autant qu’elle a, dans son histoire, été en grande partie investie par les femmes.
Corps souffrants, corps vulnérables, corps mourants : les dégradations et les altérations corporelles liées à la maladie ont constitué un champ de recherche important pour les femmes artistes pratiquant la performance dans les années 1980 et 1990. À rebours des normes de figuration de la féminité, alliant beauté, séduction, vigueur et jeunesse, leurs œuvres performatives donnent à voir des états de corps socialement inacceptables, habituellement dissimulés ou censurés. Atteintes par différents types de cancers, Yvonne Rainer, Jo Spence et Hannah Wilke ont développé des approches performatives et documentaires qui font du corps pathologisé un espace de questionnement, de représentation et de lutte. Comment performer son identité sexuelle lorsque l’on en a perdu les marqueurs fondamentaux (les seins, les cheveux, la beauté) ? Comment le corps malade permet-il de déjouer la mascarade de la féminité ? Du corps-objet au corps-sujet, l’article montre comment l’exhibition et l’expérimentation de la corporéité souffrante participent d’un processus de subjectivisation féministe.
Docteure en histoire et critique des arts de l’université Rennes 2, Johanna Renard est l’autrice d’une thèse intitulée Poétique et politique de l’ennui dans la danse et le cinéma d’Yvonne Rainer, à paraître en 2020 aux éditions De l’incidence. Collaborant régulièrement à la revue Critique d’art, elle a publié des articles dans les revues Cahiers du genre, Cahiers de narratologie, Agôn. Elle codirige par ailleurs l’édition des actes du colloque international Constellations subjectives : pour une histoire féministe de l’art, paru en 2020 aux éditions iXe. Portant sur la performance, la danse, le cinéma expérimental et l’art vidéo, ses recherches s’inscrivent dans une approche historique et sociale de l’art contemporain depuis les années 1960, avec un intérêt spécifique pour les pratiques artistiques féministes et queer.