Vidéaste et artiste nouveaux médias taïwanaise.
Shu Lea Cheang s’installe à New York au début en 1977 pour suivre un master d’études cinématographiques à la New York University. Elle entre dans le collectif d’activistes des médias Paper Tiger TV et produit des programmes hebdomadaires do it yourself consistant en des chroniques-reportages de la contre-culture de l’époque.
Sa première exposition, fait notable, a lieu en 1990 au Whitney Museum of American Art, à New York, où sa vidéo Color Schemes (1989) – qui figure aujourd’hui dans les collections du Museum of Modern Art (MOMA) de New York – est alors présentée au sein d’une installation. Il s’agit d’une continuation de son travail à Paper Tiger TV, dans laquelle elle interviewe douze performeur·euse·s et écrivain·e·s qui témoignent d’expériences racistes vécues au sein de l’industrie du divertissement américain.
Shu Lea Cheang poursuit sa création cinématographique en diffusant ses films dans les circuits institutionnels et s’empare des technologies dites « des nouveaux médias » avec Buy One, Get One au NTT Intercommunication Center de Tokyo en 1997, une valise-bento qui permet au voyageur ou à la voyageuse de documenter ses déplacements à l’aide d’une webcam et d’une connexion Internet. Cette installation anticipe d’une décennie, et de manière expérimentale, le développement des réseaux sociaux et des technologies de représentation de soi. Dans le prolongement de ses recherches au sein d’un Net art naissant, elle réalise un peu plus tard Brandon (1998-1999), première œuvre en ligne exécutée à la demande du Solomon R. Guggenheim Museum, qui fait office de page mémorielle en l’honneur de Brandon Teena, un jeune homme transgenre dont le viol et le meurtre en 1993 au Nebraska ont choqué les États-Unis.
En 2000, son film I.K.U. est à l’affiche du Sundance Film Festival et pose les bases d’une pratique vidéo qui n’aura de cesse d’explorer la sexualité contemporaine et ses corollaires : les identités de genre, la multiplicité des pratiques érotiques et le spectre du VIH/sida. L’œuvre recycle l’esthétique cyberpunk en naviguant librement entre les genres du film de science-fiction – Blade Runner (1982) de Ridley Scott – et les adaptations télévisuelles des shōnen japonais, qui font preuve de créativité avec peu de moyens – comme les Power Rangers produits à partir de 1993. I.K.U. met en scène des corporations rivales qui se battent pour cartographier le désir et commercialiser l’orgasme. Cette pièce visionnaire traite de la transformation des données individuelles en de nouvelles commodités pour des compagnies privées, une considération au cœur des analyses actuelles du capitalisme dit « de surveillance », ou data capitalism, telles qu’elles sont formulées par des théoriciennes comme Zuboff et McKenzie Wark.
Le futur, son anticipation pessimiste et le sort des communautés LGBTQI+ traversent l’œuvre de Shu Lea Cheang et sont au cœur de ses longs métrages des années 2010 : Fluidø, en 2017, montré à la Berlinale, et Wonders Wanders, réalisé à l’occasion de la Pride de Madrid 2017. Pour la Biennale de Venise de 2019, elle présente 3´3´6, sous un commissariat de Paul B. Preciado, une installation panoptique accompagnée de dix films qui traitent de différents cas historiques d’incarcération pour des raisons de dissidence de genre ou sexuelle.