Focus

Le sport féminin au regard des artistes au tournant du XXe siècle
Les politiques du corps
06.08.2024 | Marine Nédélec

Gerda Wegener, Girl and Pug in an Automobile (sketch for front page illustration in Vore Damer, 1927), vers 1927, huile sur toile

N’y allons pas par quatre chemins : le sport moderne a été créé par les hommes et pour les hommes. C’est en 1871, après la défaite face à la Prusse, que débute en France la démocratisation de la pratique sportive. Selon Thierry Terret, la « communauté mâle », alors mise à mal, entend regagner sa virilité. Et, dans cette histoire masculine, les femmes ne sont évidemment pas les bienvenues.

Pourtant, il y a des femmes de sport au tournant du xxe siècle, et même des professionnelles telle la cycliste Amélie Le Gall, connue sous le nom de mademoiselle Lisette. Les femmes sont toutefois exclues de sports virils comme la boxe, contraintes à des pratiques amatrices et d’exhibition, voire reléguées au monde du spectacle. Dans les foires et au cirque, se trouvent ainsi des lutteuses et des femmes de force. Malgré leurs corps exceptionnels, ces dernières n’échappent pas aux assignations de genre : les caractéristiques d’un prétendu éternel féminin servent aux critiques à qualifier leurs pratiques sportives, les rattachant inlassablement à l’esthétique.

Dans la logique eugénique qui domine au tournant du siècle, les femmes ont avant tout pour fonction d’être mères. Le sport constitue en ce sens un danger : il aurait le pouvoir de les transformer en hommes. Les caricatures expriment cette peur de la virilisation des femmes et de l’inversion des genres. De nombreuses œuvres font aussi état d’une histoire fantasmée des pratiques sportives féminines, oscillant entre fiction, sexisme et érotisme.

Au début du xxe siècle, Natalia Gontcharova (1881-1962), Renée Sintenis (1888-1965) et Adrienne Jouclard (1882-1972) s’emparent du motif du sport pour mener des recherches plastiques autour de la lumière, du mouvement et de la synthèse. Si leurs œuvres les plus connues dépeignent surtout des hommes, d’autres artistes représentent des femmes. Alors qu’en 1927, des sportives telle Violette Morris participent à des compétitions automobiles ; Gerda Wegener (1886-1940) dessine une élégante coiffée à la garçonne au volant de sa voiture;

Au cours de ces mêmes années 1920, Claude Cahun (1895-1954) se met en scène s’entraînant à la musculation, dans une parodie burlesque. Lotte Laserstein (1898-1993), ayant quant à elle fait la connaissance de Traute Rose, en fait son principal modèle. Elle peint son corps athlétique, non sans ambiguïté érotique. Dans cette même veine, la photographe Frieda Riess (1890-1955) dévoile le corps musclé du boxeur Erich Brandl. Vus par ces femmes, ces corps sportifs féminin et masculin sortent de façon inédite de ce que Laura Mulvey a nommé, en 1975, le « male gaze ».

Se dessine ici le rôle majeur des sports et des arts en tant qu’outils et laboratoires façonnant nos imaginaires. En cela, les récentes études rendant leur visibilité aux femmes dans l’histoire de l’art et du sport sont essentielles. Elles permettent notamment de revoir les critères établis et, comme l’appelle Florys Castan-Vicente, de faire évoluer la définition du sport (et de l’art) pour écrire une histoire plus inclusive.

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