Critique

Connais mon nom : Artistes australiennes de 1900 à aujourd’hui

21.01.2022 |

Stella Bowen, Self-Portrait, vers 1929, huile sur toile, 36,8 x 45 cm, Art Gallery of South Australia

Connais mon nom : Artistes australiennes de 1900 à aujourd’hui - AWARE Artistes femmes / women artists

Margaret Preston, Wooden Bridge, 1925, bloc de bois imprimé à la main, 12,5 x 12,5 cm, Mosman Art Gallery, © ADAGP, Paris, 2022

Know My Name: Australian Women Artists 1900 to Now / Connais mon nom : Artistes australiennes de 1900 à aujourd’hui, National Gallery of Australia, Canberra, novembre 2020 – janvier 2022

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Dorrit Black, Dutch Houses, vers 1929, linogravure couleur, 27 x 20, 5 cm, Collection particulière

Accepter pleinement l’institution, la critiquer, ou en faire quelque chose d’autre ? Les féministes sont depuis longtemps aux prises avec la question de la transformation de l’ADN patriarcal des collections et des histoires de l’art. En chemin, elles ont élaboré des tactiques d’influence, dont beaucoup interrogent les fondements mêmes du système muséal et des discours sur l’art. Elles ont révélé les inégalités de pouvoir, mais elles ont aussi inventé des formes et des lieux véritablement inclusifs, collectifs et réactifs. Bien que ces innovations, nées d’un désir de s’affranchir des conventions, aient été essentielles, le combat pour la reconnaissance officielle de celles qui s’identifient comme femmes se poursuit toujours. Ces derniers temps, ce sont les musées eux-mêmes qui le mènent, cherchant à blanchir leur réputation de sexistes (le « femwashing ») ou à diversifier leurs collections pour attirer de nouveaux publics et se démarquer.

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Nora Heysen, Self Portrait, 1934, huile sur toile, 43,1 cm x 36,3 cm, National Portrait Gallery Canberra

La National Gallery of Australia (NGA) à Canberra, dont seul un quart des collections est constitué d’œuvres de femmes, a fini par se joindre au mouvement. En 2020, le musée a lancé ce qu’il a désigné comme son « initiative en faveur de l’égalité de genre », Know My Name (KMN, « Connais mon nom »). Le projet, divisé en deux volets, consiste en une exposition, un catalogue et une série de manifestations sur deux ans ; entièrement féminin, il « célèbre l’œuvre de toutes les artistes afin de mieux comprendre leur contribution à la vie culturelle en Australie. » La NGA inscrit KMN dans le cadre du « mouvement mondial pour accroître la représentation des artistes femmes », reconnaissant ainsi sa dette envers la campagne #5WomenArtists du National Museum of Women in the Arts (Musée national des femmes dans l’art) de Washington, ainsi qu’envers le rapport Countess, rédigé par des artistes qui examinent la parité dans les arts plastiques en Australie, et la fondation privée Sheila, qui s’engage dans la collecte d’œuvres de femmes.

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Olive Cotton, Glasses, 1937, épreuve gélatino-argentique, National Library of Australia

Sous la direction des conservatrices de la NGA Deborah Hart et Elspeth Pitt en collaboration avec un conseil de conservation aborigène, l’exposition KMN est conçue autour de la collection existante de la NGA avec seulement 20 % d’œuvres empruntées et 20 % d’œuvres de commande. La plus grande exposition d’artistes femmes jamais montée en Australie – 350 œuvres de 170 artistes – s’efforce de remplacer les conventions (patriarcales) de conservation régies par la chronologie et les catégories historiques par « un nouveau récit de l’art australien », fait de relations et non d’histoire, où le temps linéaire est mis en regard avec le concept aborigène d’everywhen (« tout temps »), qui englobe tout à la fois passé, présent et futur. À leur place, ce sont des groupements thématiques — parmi lesquels « Connection With Country » (Connexion au pays), « Collaboration and Care » (Collaboration et sollicitude) et « Colour, Light and Abstraction » (Couleur, lumière et abstraction) dans la partie I et « Pattern, Weaving and Understanding » (Motif, tissage et compréhension), « Art as Lived Experience » (L’art comme expérience vécue) et « Assemblage, Irreverence and Alternative Histories » (Assemblage, irrévérence et histoires alternatives) dans la partie II — qui en constituent le principe organisateur.

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Jor Hester, Girl Holding Flowers, 1956, pinceau et encre, aquarelle, pastel, 35,8 x 27,1 cm, National Gallery of Vistoria, Melbourne, © ADAGP, Paris, 2022

Ces bonnes intentions muséologiques donnent toutefois des résultats mitigés. En effet, le recours prioritaire aux pièces possédées révèle l’insuffisance des collections existantes : si beaucoup d’œuvres méritent leur place dans l’exposition, on constate des ajouts curieux et, surtout, des omissions préoccupantes. Cependant, difficile de ne pas se laisser émouvoir par le premier ensemble, constitué d’un accrochage façon salon de 50 œuvres, dont beaucoup de tableaux et de photographies de renom, qui attestent du rôle fondamental qu’ont joué les femmes dans l’art australien : des autoportraits des modernes de premier plan Stella Bowen (1929) et Nora Heysen (1932), les photographies de la Dr Aunty Matilda House par Brenda Croft (Matilda, 2020) et des œuvres des artistes abstraites majeures que sont Olive Cotton (Glasses [Verres], 1937), Grace Crowley (Abstract Painting [Peinture abstraite], 1947) et Emily Kame Kngwarreye (Yam Awely, 1995).

Le fait que les deux parties de KMN soient installées à l’emplacement habituel de la collection internationale constitue un puissant symbole (rappelant la stratégie d’elles@pompidou) ; néanmoins, si la partie I occupe l’espace de manière convaincante, la partie II impressionne moins, forcée qu’elle est de partager la vedette avec un autre projet de KMN présentant des sculptures récentes de Sarah Lucas. Dans la partie I, la grande sculpture tissée Kungkarangkalpa [Sept sœurs], une commande réalisée par les Tjanpi Desert Weavers — une entreprise sociale aborigène située sur les Aṉangu Pitjantjatjara Yankunytjatjara Lands dans le centre de l’Australie — a attiré tous les regards, soulignant la force des pratiques des femmes aborigènes et de leurs contributions à l’art australien. Le récit épique et ancestral conté avec pédagogie par l’œuvre constitue d’ailleurs une parfaite allégorie de l’ensemble de l’exposition. L’accent mis sur la filiation est aussi évident dans le choix par KMN de femmes reconnues comme des figures de proue de la modernité en Australie : Margaret Preston, Grace Cossington Smith, Dorrit Black, Joy Hester et bien d’autres. La profondeur de cette influence est intelligemment exploitée ici, s’étendant aux puissantes œuvres de la partie II, dont la peinture et la sculpture abstraite d’Elizabeth Gower et Margot Hinder.

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Grace Cossington Smith, Interior Onto a Garden, 1960, huile sur panneau, 91,2 x 62,1 cm, Art Gallery of Ballarat

Les expositions blockbusters, si elles ne sont jamais idéales, ne sont jamais plus problématiques que lorsque se fait sentir le besoin d’un changement systémique dans la manière dont l’art est produit, collectionné et exposé. L’inclusion dans l’exposition, le catalogue ou les manifestations de KMN peut, pour certaines artistes représentées, constituer un imprimatur recherché ou, pour d’autres, n’avoir rien d’exceptionnel ; cependant, pour celles qui n’ont pas été choisies, cette exclusion douloureuse confirme que les dés restent pipés. On espère que, pour le public, KMN fournira une occasion, certes limitée, d’apprendre quelques noms de l’art australien au-delà des clichés. Quant à l’institution, peut-être en tirera-t-elle un peu de baume au cœur, mais le plus important est sans doute qu’elle reconnaisse que ce projet à long terme nécessitera un travail, un investissement et un questionnement constants.

Traduit de l'anglais par Charlotte Matoussowsky.

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