Cette première exposition des Project Rooms de la Peggy Guggenheim Collection de Venise revient sur une étape importante dans la carrière de deux femmes : pour la peintre danoise Rita Kernn-Larsen (1904-1998), sa première exposition personnelle d’envergure à la galerie Guggenheim Jeune à Londres en 1938, et, pour la mécène, collectionneuse et galeriste américaine, la première exposition surréaliste qu’elle organisa alors, inaugurant ainsi son soutien au mouvement.
L’exposition de Venise recrée partiellement celle de 1938 en montrant six des 36 toiles présentées à l’époque, accompagnées d’une œuvre postérieure et de quelques documents d’archives – photographies, liste d’œuvres et carton d’invitation. On peut regretter l’étroitesse de l’espace imparti en découvrant cet œuvre important, dont la dernière rétrospective remonte à 1995 au Randers Kunstmuseum, au Danemark.
Catalogue de l’exposition de Peintures surréalistes de Rita Kernn-Larsen à la galerie Guggenheim Jeune, Londres, 31 mai-18 juin 1938, publié dans le London Bulletin, 3 juin 1938, Peggy Guggenheim Collection Archives, Venise.
Rita Kernn-Larsen, Dance and Counter-dance, 1936, huile sur toile, 89 x 66,8 cm, © Adagp, Paris
Rita Kernn-Larsen, Self-Portrait (Know Thyself), 1937, huile sur toile, 40 x 45 cm, © Adagp, Paris
Kernn-Larsen compte parmi les quelques femmes à avoir joué un rôle important dans le mouvement surréaliste international, à l’instar d’Eileen Agar, Leonora Carrington ou Kay Sage. Elle reçoit une éducation artistique académique dans son pays d’origine, avant de rejoindre en 1930-1931 l’Académie moderne de Fernand Léger, qui, en lui confiant le transfert de ses dessins vers des formats monumentaux, aura une influence déterminante sur le style plat nourri par le cubisme de la jeune peintre. Forte de cette première immersion dans l’avant-garde, elle entre en contact avec le groupe surréaliste danois à son retour à Copenhague, avec lequel elle expose durant les années suivantes au Danemark, à Londres et à Paris, ville où elle rencontre Peggy Guggenheim au cours de l’hiver 1937.
L’exposition de Londres présentait des toiles datées de 1935 à 1938, celles montrées à Venise comptent parmi les œuvres majeures de l’artiste, telles Dance and Counter-Dance (1936), Self-Portrait (Know Thyself) (1937)1 ou encore Searching for The Moon (Vers l’inconnu) (1936-1937). L’artiste y explore sa propre subjectivité en combinant bribes de rêves, réminiscences d’expériences vécues et imagination. Reviennent les motifs du miroir, du nu féminin – marqué par l’influence de F. Léger –, de figures biomorphiques linéaires et des femmes-arbres, un sujet qui apparaît à la même époque chez Paul Delvaux2. Dans l’autoportrait de 1937, la bouche se transforme ainsi en feuille et The Women’s Uprising (Kvindernes opror) (1940), réalisé plus tard, témoigne de l’importance que prend ce thème associant la féminité à la fertilité de la nature.
Rita Kernn-Larsen à l’ouverture de son exposition Peintures surréalistes de Rita Kernn-Larsen, galerie Guggenheim Jeune, Londres, 1938.
Rita Kernn-Larsen, Searching for the Moon (Vers l’inconnu), 1936-1937, huile sur toile, 80,4 x 65 cm, © Adagp, Paris
Pour l’exposition de 1938, l’artiste réalise elle-même les cadres de ses toiles, créant un environnement surréaliste dont on aurait aimé retrouver l’esprit dans son re-enactment vénitien : l’un présentait une poignée agrippée par un gant rembourré, un autre était fixé à un bâton de bois planté dans un pot de fleurs, que l’on aperçoit dans l’une des photographies d’archives exposées. Lors du vernissage, R. Kernn-Larsen porte un chapeau orné de clochettes, de plumes et de flocons d’avoine qui s’envolent en nuées à chacun de ses pas. La critique londonienne est enthousiaste.
À l’issue de l’exposition, elle se retrouve coincée à Londres par le conflit mondial, avec son mari, et participe aux rencontres et aux expositions du groupe surréaliste londonien. L’expérience de la guerre aura un impact fondamental sur sa peinture. Estimant que la réalité a dépassé les pires fantasmes, elle se tourne définitivement vers l’abstraction. Sa période surréaliste restera la plus féconde et la plus significative : « C’était véritablement la meilleure période pour moi en tant qu’artiste3 », dira-t-elle dans les années 1960.