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Pionnières : Artistes dans le Paris des Années folles
Pionnières à l'œuvre
28.03.2022 | Eléonore Besse

Claude Cahun, Self portrait (reflected in mirror), ca. 1928, photographie, 18 x 24 cm, © Jersey Heritage Trust

Durant l’entre-deux-guerres, Paris est perçu comme un lieu de liberté culturelle, artistique et sexuelle et attire de nombreuses artistes femmes qui s’impliquent dans tous les courants artistiques de l’époque. Le contexte est cependant paradoxal pour les artistes femmes dans la capitale : si elles cherchent à vivre de leur art, à être émancipées, elles sont néanmoins soumises à des lois contraignantes. Elles imaginent une nouvelle féminité dans la mode « garçonne », se coupent les cheveux, s’habillent comme elles l’entendent, mais elles ne peuvent pas disposer de leur propre compte en banque, elles sont privées du droit de vote ; l’égalité économique et politique est encore lointaine.
Les déplacements importants de populations en Europe ainsi que le début des mesures de prohibition en Amérique poussent les intellectuel·le·s et les artistes de toutes nationalités à gagner la Ville Lumière. Ainsi s’y retrouvent celles qui arrivent de l’Europe centrale et orientale, telles les sculptrices Chana Orloff (1888-1968) et Irina Codreanu (1896-1985) et les peintres Tamara de Lempicka (1898-1980) et Mela Muter (1876-1967), ou d’Amérique, comme Gertrude Whitney (1875-1942) et Romaine Brooks (1874-1970), respectivement sculptrice et peintre.
L’Académie moderne, fondée en 1924, incarne cette mixité : elle accueille notamment la Danoise Franciska Clausen (1899-1986), le Britannique Marlow Moss (1889-1958) et la Française Marcelle Cahn (1895-1981), qui y apprennent le style puriste de Fernand Léger (1881-1955).
Les artistes femmes tissent leurs propres réseaux en dehors des écoles d’art dirigées par des hommes et se retrouvent dans des salons comme celui de Natalie Clifford Barney, riche américaine installée à Paris, ou à l’académie Marie Vassilieff (1884-1957) à Montparnasse, ou encore dans l’Atelier artistique polonais, fondé par Stefania Łazarska (1887-1977), en 1915, pour ses compatriotes immigrées à Paris.
Pour des raisons économiques et afin d’accéder à l’indépendance financière, un grand nombre d’artistes femmes répondent à de multiples commandes dans divers milieux artistiques, telles Natalia Gontcharova (1881-1962) et Marie Laurencin (1883-1956) qui réalisent des décors et des costumes pour des ballets, ou développent des lignes de vêtements, comme Sonia Delaunay (1885-1979) et Sarah Lipska (1882-1973). Motivées par une nécessité économique, elles démontrent leur capacité d’invention et leur contribution à la création de la « transdisciplinarité », notion qui n’existe pas à l’époque.
Ces femmes se sentent libres, émancipées : elles se peignent jouant au tennis – The Tennis Player (1927) d’Aleksandra Beļcova (1892-1981) –, ou se prélassant sur une plage – La Grande Plage de Biarritz (1923) de Jacqueline Marval (1866-1932) –, ou dans un lit, en train de fumer une cigarette – La Chambre bleue (1923) de Suzanne Valadon (1865-1938). Elles réinventent le nu féminin, jusqu’alors réservé au regard masculin, en l’abordant avec leur perception. Émilie Charmy (1878-1974) fait partie des artistes femmes qui prennent leur corps pour sujet, affirmant leur autonomie et leur sexualité.
Les autoportraits de Claude Cahun (1894-1954) et les portraits de R. Brooks incarnent ce que l’on nomme à cette période le « troisième sexe », pour évoquer à la fois l’homosexualité, le travestisme, l’inversion du masculin et du féminin et la sexualité marginalisée. Elles se représentent et représentent leur entourage en s’appropriant des signes vestimentaires masculins, en détournant les codes du genre et en questionnant l’identité, comme dans Les Femmes à la colombe (1919) de M. Laurencin.
Un siècle plus tard, alors que beaucoup d’artistes ne se sentent toujours pas libres de vivre pleinement leur sexualité ou leur identité, ces artistes des Années folles anticonformistes, voire révolutionnaires, peuvent être de véritables modèles.

Parcours réalisé dans le cadre des recherches sur l’exposition Pionnières au Musée du Luxembourg (2 mars-10 juillet 2022).
Commissaires : Camille Morineau et Lucia Pesapane.

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