Vue de l’exposition Alina Szapocznikow: Human Landscapes au Hepworth Wakefield, Courtesy The Hepworth Wakefield, © Photo : Lewis Ronald
L’importance d’Alina Szapocznikow dans l’histoire de l’art doit-elle encore être démontrée ?
Le travail de cette importante artiste polonaise, a pu être réévalué au sein du canon actuel grâce à la large rétrospective Sculpture Undone1, présentée en particulier au Museum of Modern Art (New York), puis l’exposition Du dessin à la sculpture2, au musée national d’Art moderne – Centre Georges-Pompidou (Paris) cependant son interprétation est loin d’être achevée. L’exposition sensible mise en place par Marta Dziewańska et Andrew Bonacina au Hepworth Wakefield (Royaume-Uni) contribue brillamment à rappeler combien l’œuvre de cette artiste reste énigmatique et pourtant essentielle à la compréhension de l’art après la Seconde Guerre mondiale.
Vue de l’exposition Alina Szapocznikow: Human Landscapes au Hepworth Wakefield, Courtesy The Hepworth Wakefield, © Photo : Lewis Ronald
La sélection s’ouvre sur une pièce majeure : la première version de Noga [Jambe, 1962], moulage en plâtre du membre inférieur de l’artiste3. Cette sculpture incarne le virage qu’opère A. Szapocznikow du réalisme socialiste (Staline en 1953) vers l’expérimentation radicale, tout en affirmant sa connaissance des pratiques et des matériaux traditionnels. Elle souligne l’engagement de l’artiste envers l’introspection, rendant ainsi hommage aux surréalismes et à leurs liens avec la psychanalyse, ainsi qu’envers l’appropriation de son corps et de sa représentation sociale, dans une démarche irrémédiablement protoféministe. Noga est exposé en regard des œuvres de la collection permanente du musée, qui comprend de nombreuses pièces de Barbara Hepworth et d’Henry Moore, ce qui favorise un dialogue passionnant, aussi bien visuel qu’historique et intellectuel, avec ces deux sculpteurs.
Le parcours se poursuit au travers de la désintégration de la figure initiée par A. Szapocznikow dès les années 1950, de Premier Amour (1954) – pour lequel il n’est pas précisé que la pièce a été exposée au musée Rodin à Paris dès 1956 –, vers Ekshumowany (Exhumé, 1957). Cette sculpture, en présentant un corps décomposé, déformé, comme un penseur d’Auguste Rodin se redressant après une séance de torture ou l’explosion de la bombe atomique, démontre la difficulté tout autant que la nécessité de survivre au traumatisme. Le traumatisme ici identifié est celui, aussi bien biographique qu’historique, de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah. Il peut cependant s’étendre au traitement de certains opposants dans la Pologne communiste. L’humain est parfois transformé en monstre (Monstrum II, 1957) et le Philosophe (1965), amputé.
Vue de l’exposition Alina Szapocznikow: Human Landscapes au Hepworth Wakefield, Courtesy The Hepworth Wakefield, © Photo : Lewis Ronald
L’installation durable de l’artiste en France à partir de 1963 correspond à l’apparition affirmée d’objets industriels dans ses sculptures, ainsi qu’à l’utilisation de nouveaux matériaux, des polymères, parfois développés avec l’aide d’un ingénieur chimiste de la société Rhône-Poulenc. Ses échanges avec le Nouveau Réalisme, par l’intermédiaire de Pierre Restany4, sont féconds. La Machine en chair (1963-1964) est une démonstration magistrale dans ce domaine, même s’il est regrettable que la sculpture Goldfinger (1965) n’ait pu être montrée autrement qu’en photographie, cette dernière ayant permis à l’artiste d’être remarquée par Marcel Duchamp et Jean Arp et de remporter le prix de la fondation Copley en 1966. En ce qui concerne la photographie, l’une des dimensions les plus intéressantes de l’exposition est de témoigner des liens polymorphes du travail de l’artiste avec ce médium : photographies d’archives, photographies intégrées à ses sculptures (Tumeurs, Enterrement d’Alina), Photosculptures (1971) réalisées en collaboration avec son second mari, Roman Cieslewicz, etc.
La présence d’A. Szapocznikow en France marque également le début d’une exploration ludique et courageuse de son imaginaire érotique. La salle, éclairée comme une chapelle ardente, qui réunit, entre autres, ses Lampes-Seins et Lampes-Bouches ainsi que Femme illuminée (1966-1967), rend hommage à la séduction de l’œuvre tout en rappelant, par l’exposition de Rolls Royce (1970), sa grande rigueur et son ambition conceptuelle.
Les tensions permanentes entre Éros et Thanatos que révèle le travail d’Alina Szapocznikow sont au cœur des importantes séries qui prennent place dans la dernière salle : Tumeurs, Herbier ou bien encore Paysages humains (qui a donné son titre à l’exposition). Cette dernière sélection en apothéose témoigne de l’engagement de l’artiste à préserver les traces sensibles du passage de l’humain, traces fugaces, fragiles, imparfaites, mais malgré tout inestimables.
Alina Szapocznikow, Human Landscapes, du 21 octobre 2017 au 28 janvier 2018, The Hepworth Wakefield (Wakefield, Royaume-Uni).