Critique

Travaux de dames ?

30.07.2017 |

Suzanne Lalique-Haviland, Étude pour tissu à motifs de parasols, 1920, gouache sur papier © Photo : Les Arts Décoratifs, Paris

Le point d’interrogation qui se dresse à l’entrée de l’exposition semble vouloir atténuer la formule délibérément désuète qui le précède, tant en 2017 il serait en effet téméraire d’affirmer qu’il puisse y avoir des activités réservées à un sexe en particulier1. Le propos ici est davantage d’offrir un aperçu des œuvres faites par des femmes conservées au musée des Arts décoratifs qu’une remise en question des capacités artistiques ou techniques des créatrices exposées.

Travaux de dames ? - AWARE Artistes femmes / women artists

Vue de l’exposition, © Eva Belgherbi

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Jacomijn Van der Donk, Collier (Mains), 1994, dentelle d’argent oxydé © Photo Les Arts Décoratifs, Paris / Jean Tholance

En filigrane, c’est surtout d’apprentissage qu’il s’agit, particulièrement dans la première salle consacrée au Comité des dames, formé en 1895, qui dispense des cours d’arts appliqués pour les femmes à l’école de la rue Beethoven, à Paris, à partir de 18972. Cette prise en compte du contexte historique est inéluctable tant cette période est charnière dans le combat des femmes artistes pour accéder à une éducation artistique égale à celle de leurs homologues masculins3. Le travail effectué à partir des archives du Comité des dames4 permet de montrer des documents inédits, dont des photographies d’ateliers, les programmes scolaires ou encore le relevé de notes de Dora Maar de 1923.

À la solidité de cette partie s’oppose la confusion des deux suivantes. La réappropriation et la réhabilitation des arts du textile – un domaine longtemps considéré comme un art mineur et artisanal, incompatible avec la création artistique – par les « Nouvelles Pénélopes » du XXe siècle est assez explicite, montrée à travers les œuvres de Sheila Hicks ou Violeta Parra. En revanche, la section « Vous avez dit Femmes ? » sous-entend un brouillement du genre concernant certaines femmes artistes qui serait dû à leur pratique de certains médiums supposés durs – masculins ? – comme les arts du feu, le verre, le bronze. Quelques rapprochements sont ambigus lorsque se côtoient l’héliogravure Métal (1927) de Germaine Krull, un ensemble deux-pièces par Rei Kawakubo (2007) et le tableau Nature morte à l’armure (1670) de Madeleine de Boullogne. En voulant éviter une chronologie classique et associer des œuvres sous un thème commun, l’exposition prend le risque de perdre les visiteur·se·s.

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Sonia Delaunay, morceau de tissu « Tissu simultané n° 189 », 1926-1927, velours de coton, impression à la planche de bois 5 couleurs © Photo Les Arts Décoratifs, Paris / Jean Tholance

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Vue de l’exposition, © Eva Belgherbi

Il y a pourtant une volonté manifeste de retourner les stéréotypes concernant les femmes et le domaine des arts appliqués mais des subtilités peuvent nous échapper, faute de connaître suffisamment les artistes d’époques, de formations et de pays différents ; le dénominateur commun, restant seulement le genre féminin, diluant quelque peu le propos. Malgré une démonstration riche et un jeu stimulant sur l’obsolescence de son titre, l’envie d’en savoir davantage – sur ces femmes artistes et le travail de recherche accompli en amont de l’exposition – est également contrainte par l’absence regrettable de catalogue. Ce foisonnement de 200 œuvres exposées demeure cependant l’occasion de retrouver avec un plaisir certain Niki de Saint Phalle, Sonia Delaunay, Laure Albin Guillot et Elsa Schiaparelli, ainsi que de découvrir des pièces singulières et peu montrées, à l’instar de la sculpture Massacre (2008) de Valérie Delarue.

Au musée des Arts décoratifs, Paris (France), du 8 mars au 17 septembre 2017.

1
Linda Nochlin réfute l’existence d’un art féminin, qui serait commun à travers les époques et les pays aux femmes artistes, dans son célèbre essai Why Have There Been No Great Women Artists?, publié en 1971, notamment dans ARTnews, janvier 1971.

2
Voir « Le Comité des Dames. La formation artistique des femmes au sein de l’Union centrale des arts décoratifs (1892-1925) », écrit par Guillemette Delaporte, Marie-Amélie Tharaud, Elise Kerschenbaum.

3
En France, les femmes n’accèdent à l’École des beaux-arts de Paris qu’en 1897 puis, en 1900, elles ont accès à un atelier non mixte, pour enfin pouvoir concourir au Prix de Rome en 1903 (voir Marina Sauer, L’Entrée des femmes à l’École des beaux-arts, 1880-1923, Paris, ENSBA, 1990). L’histoire de la pratique des arts décoratifs – dits mineurs en opposition aux majeurs, enseignés aux Beaux-Arts – est aussi particulièrement liée à celle des femmes artistes à la fin du XIXe siècle (voir Catherine Gonnard, Élisabeth Lebovici, Femmes artistes/Artistes femmes. Paris, de 1880 à nos jours, Paris, Hazan, 2007, p. 14-18).

4
Conservées à la bibliothèque du musée des Arts décoratifs.

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