Barbara Hammer, Put a Lesbian in The White House, 1980, carte postale et performance, Oakland, California © Estate de Barbara Hammer 2022
Si l’homosexualité a toujours existé, l’orientation sexuelle et l’identité de genre se pensent différemment selon le lieu et l’époque. Au XIXe siècle en Europe, l’homosexualité, terme introduit en 1869 par Karl-Maria Kertbeny, se perçoit « moins comme un péché d’habitude que comme une nature singulière », écrit Michel Foucault (1976). Parallèlement, les termes « saphique » puis « lesbienne » prennent de l’ampleur, alors que l’homosexualité féminine interroge plus globalement la place des femmes dans la société. La question du positionnement social et identitaire permet d’appréhender ce qui relie l’histoire de l’homosexualité et l’histoire des représentations. Car comment s’identifier et s’énoncer hors des normes de genre et de sexualité ?
Cette interrogation transparaît chez les artistes dès la seconde moitié du XIXe siècle. Il s’agit d’abord d’expérimenter pour soi-même, par la photographie et son utilisation privée, en détournant les représentations de genre et du couple hétérosexuel. C’est le cas des photographies retrouvées de l’Américaine Alice Austen (1866-1952), des Norvégiennes Bolette Berg (1872-1944) et Marie Høeg (1866-1949) ou des Françaises Claude Cahun (1894-1954) et Marcel Moore (1892-1972), dont les nombreux autoportraits explorent plus fortement l’ambivalence de genre.
Parallèlement, une culture visuelle lesbienne apparaît avec ses propres attributs, dont de nombreuses œuvres témoignent. La peintre Romaine Brooks (1874-1970) développe notamment un style neuf de portrait féminin aux postures affirmées et dynamiques, aux univers extérieurs, aux costumes sobres et modernes : veste noire, col relevé, cravate, monocle, cheveux relevés… Images de la scène lesbienne du début du XXe siècle et de ses nouveaux modes d’énonciation.
Dans la seconde moitié du XXe siècle, à partir des années 1960-1970, les mouvements pour les droits sociaux favorisent l’affirmation identitaire et la conceptualisation du mot « lesbienne » intègre une nouvelle vision politique matérialiste que l’on retrouve chez Monique Wittig. En art visuel s’opère un tournant : la sexualité et la communauté lesbiennes deviennent des sujets à part entière de création et d’affranchissement. C’est le cas des films expérimentaux lesbiens de Barbara Hammer (1939-2019), des photographies de Joan E. Biren (née en 1944) et de Laura Aguilar (1959-2018), ou encore du projet collectif Kiss & Tell, créé fin 1980 à Vancouver, dont l’exposition Drawing the Line interroge et défend les sexualités lesbiennes.
La possibilité d’une histoire de l’art lesbien se pose dès 1977 avec le Lesbian Art Project (1977-1979) à Los Angeles, un projet participatif de recherche sur l’histoire et le sens de l’art lesbien. L’ouvrage Lesbian Art in America (2000) de Harmony Hammond (née en 1944) apporte également quelques clés de lecture. La diversité de cette culture visuelle lesbienne et lesboqueer en évolution laisse cependant peu de possibilité à l’exhaustivité.