Charley Toorop, Still life with skull, 1929, huile sur panneau, Kroller-Muller Museum, Otterlo, © ADAGP, Paris
La nature morte connaît son heure de gloire au XVIIe siècle, notamment dans les pays du nord de l’Europe avec les toiles de Pieter Claesz (1596/97-1660) ou celles de Rachel Ruysch (1664-1750). Les œuvres ne montrent pas des figures humaines mais des plats, des fruits ou des légumes, des objets ou encore des fleurs et font souvent recours à des symboles comme celui des vanités. Le genre reste mineur dans la tradition picturale occidentale face à la peinture d’histoire ou au portrait, il est parfois même plus considéré comme un exercice. Tombé en désuétude au XIXe siècle, la nature morte est souvent associée à la pratique artistique des femmes, ce qui illustre le manque de considération de la critique pour les créatrices. L’association entre féminité et peinture florale est le fruit de leur activité dans les ateliers des manufactures de porcelaine, de céramique et de tissu, comme c’est le cas pour Vanessa Bell (1879-1961) dans les ateliers Omega qu’elle créés en 1913 avec le groupe Bloomsbury Group et où elle imagine des motifs végétaux pour les intérieurs anglais.
Le constat de l’ambiguïté de la nature morte se fait au travers des carrières des artistes. Tantôt exercice pratique, elles y font leurs armes avant de se tourner vers des pratiques qui leur conviennent mieux. Émilie Charmy (1878-1974) peint des natures mortes, mais c’est dans ses scènes de bordels ou ses portraits de l’autrice Colette (1873-1954) qu’elle trouve son moyen d’expression propre et qu’elle fixe l’originalité de son travail. Betty Goodwin (1923-2008) en Roumanie ou Florine Stettheimer (1871-1944) aux États-Unis, débutent leur apprentissage par cet exercice, qui n’a pas pour but l’audace et la créativité mais la justesse du trait et de l’étude. Cette idée se vérifie aussi dans l’art contemporain, par exemple avec Carole Benzaken (née en 1964) qui débutent en représentant des tulipes, moyen pour elle de questionner le sens de l’image et la tradition picturale.
Mais la nature morte est également un genre à part entière. Après-guerre, Geneviève Asse (née en 1923) crée des natures mortes qu’elle est contrainte de travailler avec seulement trois couleurs : le blanc, le noir et l’ocre. C’est cette approche quasi monochromique qui lui permet ensuite d’accéder à une plus grande liberté et une plus grande amplitude dans sa manière de faire. Ce genre pictural s’inscrit dans les recherches esthétiques des mouvements artistiques. Ainsi, Maria Blanchard (1881-1932) ou Valéria Dénes (1877-1915) les réalisent à la manière cubiste et Charley Toorop (1891-1955) à la manière du réalisme. Frances Hodgkins (1869-1947) la met en confrontation avec la réalisation de paysages dans ses œuvres. Cette modernité a également un écho dans la pratique photographique. Aenne Biermann (1898-1933) fixe sur la pellicule des natures mortes à la composition et à la structure stricte avant de les retravailler à l’aide des techniques de montage. Au Japon, où la peinture de fleur est un art traditionnel, Fujio Yoshida (1887-1987) s’approprie ces motifs et les travaille jusqu’à arriver à l’abstraction organique. Elle réalise ces formes avec différentes techniques, dont l’estampe, la gravure ou la peinture à l’huile. En occident, ces représentations deviennent pour certaines artistes un moyen d’expression à part entière, qu’elles détournent pour en modifier le sens, comme le fait Juliette Roche (1884-1982) qui y insère de forts messages politiques.
La nature morte se réinvente dans la performance et l’installation comme dans les travaux de la tchèque Jana Sterbak (née en 1953) ou de l’allemande Gloria Friedmann (née en 1950), où elle est nourrie par les problématiques actuelles portant sur l’écologie et l’environnement.