Critique

Tisserandes, peintres et féministes à São Paulo

05.10.2019 |

Amostra de pontos de bordado Berlin Wool Work [Échantillon de points de broderie Berlin Wool Work], XIXe siècle, tissu en laine sur coton, 81 x 74 cm, Collection Museu de Arte de São Paulo Assis Chateaubriand

Des tableaux peints par des femmes occidentales du XVIIe siècle au XIXe siècle côtoient des tapisseries, broderies et tableaux textiles anonymes, de l’Antiquité au siècle passé, indonésiens, égyptiens, brésiliens… : fidèle à la volonté de la fondatrice du Museu de Arte de São Paulo Assis Chateaubriand, Lina Bo Bardi, d’abolir les frontières entre art moderne et art populaire et de questionner l’européocentrisme des musées de beaux-arts, cette confrontation, surprenante, et même parfois incongrue, a le mérite d’interroger les hiérarchies de toutes sortes.

La mention « anonyme », pour désigner les autrices de ces œuvres de tissu, scande le parcours, rappelant que, en dehors des pays où s’est développée l’histoire de la peinture, des femmes inventaient d’autres formes d’art dont la beauté abstraite parle parfois davantage au regard contemporain que les tableaux de leurs consœurs.

Tisserandes, peintres et féministes à São Paulo - AWARE Artistes femmes / women artists

Eva Gonzalès, Une loge aux Italiens, 1874, huile sur toile, 98 x 130 cm, © Musée d’Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Hervé Lewandowski

Les peintres qui dialoguent avec l’artisanat des tisserandes sans noms sont pour beaucoup devenues des « héroïnes » de l’histoire de l’art : Artemisia Gentileschi (1593-1653) ouvre l’exposition avec sa monumentale Cléopâtre (vers 1620), aux côtés de Sofonisba Anguissola (1532-1625) et son autoportrait en miniature (1558), au regard pénétrant, venu de la fondation Custodia (Paris), Clara Peeters (1594-1657), Élisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842) dans son fameux Autoportrait au chapeau de paille (1782) qui renverse le point de vue du portrait de Suzanne Fourment par Pierre Paul Rubens, jusqu’à Mary Cassatt (1844-1926) et Eva Gonzalès (1849-1883). De cette dernière, la majestueuse Loge aux Italiens (1874) prêtée par le musée d’Orsay, entourée de portraits de femmes énergiques de Marie Bashkirtseff (1858-1884) et d’Anna Bilińska-Bohdanowicz (1857-1893), clôt le parcours par une mise en scène du regard des femmes devenues productrices d’une vision nouvelle. Ces peintures font face à des patchworks aux rythmes géométriques réalisés à la même époque.

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Carolina Caycedo, Mujeres en mi [Les Femmes en moi], 2010, vêtements et broderies, 365 x 180 cm, collection particulière, © Photo : Thais Llorca

La visite se poursuit un étage en-dessous avec des artistes contemporaines féministes. Le triptyque totémique de Carolina Caycedo (née en 1978), plasticienne d’origine colombienne vivant à Los Angeles, réunit tableau et art textile en une œuvre faite de vêtements usés, méticuleusement choisis pour leurs qualités sociales, politiques, plastiques et sentimentales, ces habits ayant appartenu à des proches de l’artiste, en particulier à sa grand-mère et à sa mère trop tôt disparue. C. Caycedo les coud ensemble, mais de manière qu’ils puissent continuer à être portés lors de performances. Elle les rassemble et les transforme en brodant dessus les noms de femmes qu’elle admire. Parmi les œuvres exposées, signalons également les tableaux textiles de Tuesday Smillie (née en 1981), artiste transgenre, entre bannières militantes et compositions raffinées, entre violence et délicatesse. Citons aussi About the Blank Pages (2014) d’EvaMarie Lindahl (née en 1976) et Ditte Ejlerskov (née en 1982). Ces deux artistes ont réalisé ensemble cette installation : dans deux bibliothèques, de petites monographies imaginaires mais que l’on aimerait réelles, imitant la collection « Basic Art Series » de Taschen, se mêlent aux titres existants largement consacrés aux hommes : ce sont des ouvrages dédiés à Niki de Saint Phalle, Krasner, Rego, Schneemann, Sirani, Beaux, Bonheur, Modersohn-Becker.

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EvaMarie Lindahl et Ditte Ejlerskov, About: The Blank Pages, 2014, livres, étagères et affiches, © EvaMarie Lindahl et Ditte Ejlerskov

Ces expositions se prolongent dans la collection permanente qui s’ouvre avec l’odalisque de Jean Auguste Dominique Ingres détournée par les Guerrilla Girls : à peine 6 % de créatrices étaient exposées en 2017, chiffre nettement en hausse à la suite de deux années de programmation audacieuse sur les femmes artistes en réaction à un contexte politique peu favorable au féminisme.

 

Histórias das Mulheres: Artistas até 1900 et Histórias Feministas: Artistas depois de 2000, du 23 août 2019 au 17 novembre 2019, Museu de Arte de São Paulo Assis Chateaubriand (MASP) (São Paulo, Brésil).

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