Lois Mailou Jones, Les clochards, Montmartre, Paris, 1947, caséine sur bois, 53,3 x 90,2 cm, © Smithsonian American Art Museum
Au tournant du XXe siècle, le Paris de la Troisième République n’a pas encore cédé sa place en tant que capitale mondiale de l’art. Les artistes du monde entier viennent s’y former et y créer au sein des cercles des avant-gardes modernes. Cet intérêt pour la France est notamment dû aux différentes expositions universelles organisées à Paris, ainsi qu’à l’École des beaux-arts, et au réseau d’écoles privées né durant la seconde moitié du XIXe siècle dans lequel on compte : l’académie Julian, l’académie Colarossi, l’académie Vitti ou encore l’académie de la Grande Chaumière. Ce sont des lieux de rupture avec la tradition picturale, où les élèves côtoient et apprennent auprès des artistes du moment, mais aussi de rupture sociale puisque ce sont les académies qui permettent aux femmes d’accéder à un enseignement professionnel de l’art, proposant même des cours sur modèles vivants. Le concours d’entrée des Beaux-Arts n’est quant à lui ouvert aux femmes qu’à partir 1897. Dans ces espaces de formation, l’intégration d’artistes étranger·e·s fait s’initier un dialogue enrichissant entre l’art français et les mouvements du monde entier.
Ces écoles sont de hauts lieux de sociabilité auxquels les artistes étranger·e·s participent lors de leurs séjours parisiens, c’est ce qui fait la richesse de ces institutions dans lesquelles les artistes femmes participent activement : Käthe Kollwitz (1867-1945) et Tarsila do Amaral (1886-1973) fréquentent la rue du Dragon où est située l’académie Julian, Hanna Hirsch-Pauli (1862-1940) et Ellen Thesleff (1869-1954) préfèrent l’enseignement de Colarossi. E. Thesleff s’y nourrit de l’héritage impressionniste et expressionniste français, à l’inverse Paula Modersohn-Becker (1876-1907) le rejette et y préfère le lègue allemand après ses études. Certaines intègrent ces lieux convoités grâce à des bourses, qui permettent au début des années 1880 aux finlandaises Helene Schjerfbeck (1862-1946) et Elin Danielson-Gambogi (1861-1919), puis en 1913 à la suédoise Siri Derkert (1888-1973) de suivre les cours des établissements du quartier de Montparnasse. Dans les années 1930, Augusta Savage (1892-1962) étudie à la Grande Chaumière grâce à une aide financière obtenue au terme d’une véritable lutte avec le comité d’admission qui fait d’elle la première africaine-américaine à bénéficier de ce type de soutien. Après elle, Lois Mailou Jones (1905-1998) prendra aussi le chemin de Paris.
La présence des artistes étrangères dans la capitale française est remarquée. Ainsi, la néo-zélandaise Frances Hodgkins (1869-1947) devient en 1908 la première femme à enseigner à l’académie Colarossi et Fang Junbi (Fan Tchun-pi) (1898-1986) est la première chinoise à étudier à l’école des Beaux-Arts et à exposer au Salon annuel des artistes français en 1924. Aussi, elles s’invitent dans la vie culturelle de la ville et dans les ateliers des artistes. Par exemple, la sculptrice russe Anna Goloubkina (1864-1927) étudie dans l’atelier d’Auguste Rodin (1840-1917) et la peintre anglaise Gwen John (1876-1939) y pose pour gagner sa vie. La production du sculpteur est alors marquée par leur présence. Des artistes s’investissent également dans les mouvements contemporains comme Marianne von Werefkin (1860-1938) qui travaille au côté des Nabis. Aussi, des cercles par nationalités se constituent. Irina Codreanu (1896-1983) fréquente des artistes roumain·e·s et écrit dans les revues d’avant-garde qui circulent dans le groupe. Marie Vassilieff (1884-1957), venue à Paris grâce à une bourse, fonde l’académie Russe de peinture, puis l’académie Vassilieff dont elle est la directrice, pour accueillir ses compatriotes.