Entretiens

La Houle : une première recherche sur la place des femmes dans les collections du Centre national des arts plastiques

11.12.2019 |

Barbara Kruger, Who Do You Think You Are?, 1997, Centre national des arts plastiques, © Droits réservés, © Cnap, © Photo : Collection Lambert en Avignon

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<i>La Houle</i> : une première recherche sur la place des femmes dans les collections du Centre national des arts plastiques - AWARE

Barbara Kruger, Who Do You Think You Are?, 1997, Centre national des arts plastiques, © Droits réservés, © Cnap, © Photo : Collection Lambert en Avignon

En 2015, le Centre national des arts plastiques (Cnap) a mis en place une bourse de recherche curatoriale destinée à des commissaires d’exposition souhaitant développer un projet à partir de la collection de l’État. Liberty Adrien, lauréate en 2016, a récemment rendu sa recherche portant sur l’histoire des femmes dans le fonds. Marie Chênel a recueilli les propos de Juliette Pollet, conservatrice responsable de la collection arts plastiques (depuis 1991), et de la commissaire, qui retrace ici les grandes lignes de son étude et de ce que celle-ci révèle de l’évolution des mœurs, de la fin du XVIIIe siècle à nos jours.

Marie Chênel : Juliette Pollet, pouvez-vous nous préciser l’origine de la bourse curatoriale du Cnap ? Quels en sont les principaux objectifs ?

Juliette Pollet : D’une part, cette bourse vise à faire mieux connaître l’immense collection du Cnap, qui s’est enrichie par vagues successives. C’est un fonds qui ne présente pas de grandes lignes directrices, comme cela peut être le cas pour une collection muséale, mais qui s’est construit par sédimentation. Il est de ce fait particulièrement difficile à appréhender dans son ensemble. La bourse curatoriale est une des stratégies de recherche élaborées par le Cnap pour créer du savoir sur et à partir de ce corpus unique. Le deuxième objectif est de soutenir l’activité de commissaires indépendant·e·s, des acteurs et actrices majeur·e·s de la scène contemporaine. Le dispositif affirme que les commissaires développent des méthodes singulières et innovantes. D’autres actions du Cnap sont orientées sur des aides à la recherche universitaire, des partenariats au long cours se mettent en place, par exemple avec le Labex Arts H2H, l’Institut national d’histoire de l’art, l’École nationale des chartes. L’appel à candidature pour la quatrième session de la bourse de recherche curatoriale a été lancé à l’été 20191.

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Hortense Haudebourt-Lescot, Le Jeu de la main chaude, 1812, huile sur toile, 75 x 100 cm, Centre national des arts plastiques, © Cnap, © Photo : Yves Chenot

MC : Liberty Adrien, pouvez-vous nous présenter votre parcours ? Comment est née cette attention pour les artistes femmes dans votre pratique curatoriale ?

Liberty Adrien : Après l’obtention de mon diplôme à l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, j’ai travaillé dans un bureau d’architecture à Copenhague puis à Hambourg. L’occasion de fonder Âme nue, un centre d’art contemporain indépendant, s’est présentée en 2015. Au fil de mes explorations de l’histoire de l’art et de son actualité, j’ai eu connaissance de l’appel à candidature de la bourse de recherche curatoriale du Cnap. La découverte de notre impressionnante collection nationale m’a fascinée. À ce moment-là, mes savoirs sur la place des femmes dans les arts étaient limités et la possibilité de l’analyser à travers le prisme d’une collection nationale de plus de deux siècles m’a semblé intéressante. J’ai été étonnée que cette étude n’ait pas encore été réalisée et cela m’a convaincue de sa nécessité.

MC : En 2018, afin de présenter la synthèse de votre Étude sur les œuvres d’artistes femmes acquises pour la collection nationale d’art française, de 1791 à l’année 2017, vous avez compilé un volumineux corpus visuel de 650 œuvres. Celui-ci ne réunit pourtant que 3,8 % des œuvres des artistes femmes de la collection. Comment avez-vous construit cette sélection ?

LA : Je voudrais d’abord rappeler que cette collection nationale est héritière de la politique de soutien de l’État aux artistes, depuis 1791. Elle a été enrichie sans interruption depuis, en étant rattachée à diverses entités administratives à travers le temps.

Sonia Delaunay, Rythme couleur no 1076, 1939, huile sur toile, 152 x 158 cm, Centre national des arts plastiques, © Pracusa S.A., © Cnap, © Photo : Yves Chenot

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Sonia Delaunay, Rythme couleur no 1076, 1939, huile sur toile, 152 x 158 cm, Centre national des arts plastiques, © Pracusa S.A., © Cnap, © Photo : Yves Chenot

Yayoi Kusama, Infinity Mirror Room Firefiles on the Water, 2000, installation lumineuse, Centre national des arts plastiques, © Yayoi Kusama, © Cnap, © Photo : Musée des Beaux-Arts de Rouen – Métropole Rouen Normandie

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Yayoi Kusama, Infinity Mirror Room Firefiles on the Water, 2000, installation lumineuse, Centre national des arts plastiques, © Yayoi Kusama, © Cnap, © Photo : Musée des Beaux-Arts de Rouen – Métropole Rouen Normandie

Cet immense corpus de 120 000 œuvres réalisées par des artistes de près de 400 nationalités reflète l’évolution des politiques sociales et culturelles de l’État français. On y découvre, sur plus de deux siècles, les changements de mentalité de la société, les influences de la géopolitique mondiale, l’empreinte des mutations industrielles et technologiques sur les tendances artistiques. La collection est un rare témoin des transformations des mœurs, un pilier ayant résisté aux dénis d’histoire, particulièrement précieux pour l’étude et la reconnaissance de la place des femmes dans les arts. Ma recherche curatoriale avait donc pour objet l’analyse de son évolution à travers le prisme des acquisitions d’œuvres d’artistes femmes par l’État. Combien ont été achetées chaque année ? Quelles sont les grandes caractéristiques artistiques de chaque époque ? Quelles sont les mises en relation possibles de ces éléments numériques et de ces œuvres avec les actualités sociopolitiques et culturelles ? Quels sont les parcours de vie remarquables de certaines de ces artistes ?

La première étape de mon travail a donc consisté à extraire et à analyser les diverses données de la collection. On y découvre ainsi, pour la période historique (1791-1904) et pour la période moderne (1905-1959), une proportion d’œuvres acquises produites par des artistes femmes d’environ 10.5 % et 13,5 %. Pour la période contemporaine (depuis 1960), ce pourcentage représente près de 17,5 %. La politique d’acquisition de l’État comme les processus d’émancipation des femmes dans le monde n’ont cependant pas suivi une progression graduelle et régulière dans le temps.

Après avoir établi ces chiffres, la seconde étape a été de scanner et d’examiner ces milliers d’œuvres : un total approximatif de 17 000 œuvres, soit environ 14,2 % de la collection, réalisées par des artistes femmes. Ces nombres représentent un minimum en raison des multiples œuvres d’artistes anonymes et de celles qui sont archivées sans critère de genre dans la base de données du Cnap.

Baya, (Sans titre), 1964, gouache sur papier, 100 x 150 cm, Centre national des arts plastiques, © Othmane Mahieddine, © Cnap

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Baya, (Sans titre), 1964, gouache sur papier, 100 x 150 cm, Centre national des arts plastiques, © Othmane Mahieddine, © Cnap

JP : 80 % des œuvres de la collection sont disponibles en ligne, consultables par tous et toutes. Dans le cadre de la bourse de recherche curatoriale, Liberty Adrien a eu accès à l’intégralité de la base. Le répertoire est pléthorique mais la documentation reste lacunaire pour certaines œuvres.

LA : J’en reviens à votre question relative à la construction de cette sélection. Il m’a semblé nécessaire, en premier lieu, d’étudier sans distinction les œuvres issues des domaines des arts plastiques, des arts décoratifs, de la photographie et de l’art vidéo. De manière chronologique, en explorant nom après nom la liste des artistes femmes de la collection, j’ai suivi l’évolution des styles et des sujets abordés, du contexte social et politique dans lequel les œuvres ont été créées. J’ai tenté de comprendre la situation de ces artistes : quelle était leur condition sociale, dans quel monde vivaient-elles, que souhaitaient-elles exprimer ?

Cela m’a permis de découvrir de nombreuses personnalités singulières, telles que la peintre algérienne Baya (Fatma Haddad, 1931-1998). Orpheline, elle doit travailler dès son jeune âge. Le parcours de cette artiste autodidacte est marqué par sa rencontre à Alger avec le célèbre marchand de tableaux Aimé Maeght. Exposée à Paris à l’âge de 16 ans, dans une France encore bouleversée par la Seconde Guerre mondiale, elle réalise des œuvres vives, libres et joyeuses qui rencontrent un vif succès. Son épopée artistique, interrompue durant dix années par les exigences d’un mariage arrangé, reprend dans les années 1970. Baya est aujourd’hui reconnue comme l’une des figures majeures de l’art moderne algérien.

Tarsila, A Cuca, 1924, huile sur toile, 60,5 x 72,5 cm, Centre national des arts plastiques, © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos Ltda, © Cnap, © Photo : Yves Chenot

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Tarsila, A Cuca, 1924, huile sur toile, 60,5 x 72,5 cm, Centre national des arts plastiques, © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos Ltda, © Cnap, © Photo : Yves Chenot

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Françoise Demulder, Liban, 19 janvier 1976, photographie noir et blanc, 41,2 x 51 cm, Centre national des arts plastiques, © Françoise Demulder, © Agence Roger-Viollet, © Cnap, © Photo : Yves Chenot

L’histoire personnelle de l’artiste brésilienne Tarsila do Amaral (1886-1973) est tout aussi remarquable. Jeune mère, après avoir suivi des cours particuliers de peinture à São Paulo, l’artiste s’installe à Paris pour étudier à l’académie Julian. Après son séjour dans la capitale où elle s’immerge dans l’effervescence de l’avant-garde, T. do Amaral fait partie du Groupe des cinq (O Grupo dos Cinco), pionnier du mouvement moderniste au Brésil. Ses œuvres étonnantes sont influencées par ses expériences, ses souvenirs d’enfance à la ferme, sa sensibilité face à la pauvreté et son engagement contre la dictature dans son pays natal.

Les récits des photographes de guerre françaises Françoise Demulder (1947-2008) et Alexandra Boulat (1962-2007) sont également incontournables. J’ai aussi eu des coups de cœur pour des positions artistiques contemporaines, comme celles de la Française-Canadienne Kapwani Kiwanga (née en 1978) et de la Chilienne Sandra Vásquez de la Horra (née en 1967).

Il a été difficile de réduire ma synthèse à 500 artistes. En suivant mon œil de commissaire, je me suis laissé impressionner par la puissance singulière du travail de certaines créatrices qui, je pense, ont transformé le regard que je portais sur l’histoire de l’art. Cette recherche peut être qualifiée de militante ; je souhaite en effet mettre en avant le caractère prolifique et exceptionnel des œuvres des artistes femmes de la collection, et par là même questionner une situation toujours actuelle : le manque de représentation équitable des artistes femmes dans nos musées et nos récits d’histoire.

MC : N’est-ce pas là précisément ce que peut apporter une recherche de l’ordre de celle que vous avez menée, contribuer à réécrire une histoire qui a été construite avec des pans littéralement invisibles ?

LA : Précisément. Le public est en droit de découvrir l’histoire de l’art dans son ensemble, sans que celle-ci soit limitée au genre masculin.

En voici un exemple éloquent : j’ai visité l’exposition des collections permanentes du musée d’Art moderne de la Ville de Paris, en octobre 2018. Sur les 86 œuvres d’art moderne de l’accrochage alors en cours, seules 4 – soit moins de 5 % – avaient été réalisées par des artistes femmes. Afin d’enquêter sur les œuvres conservées dans les réserves du musée, j’ai par la suite consulté la collection en ligne. On y découvre de superbes peintures modernes des artistes María Blanchard, Sonia Delaunay, Leonor Fini, Natalia Gontcharova, Marie Laurencin, Valentine Prax, Dorothea Tanning, Suzanne Valadon, Maria Helena Vieira da Silva… En mai 2019, quand j’ai visité, dans le même musée, le nouveau parcours des collections relevant plutôt de la période contemporaine, environ 25 % des œuvres présentées étaient signées par des artistes femmes. Doit-on s’en satisfaire ?

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Rachel Baes, La Première Leçon, 1951, huile sur toile, 65 x 54 cm, Centre national des arts plastiques, © Droits réservés, © Cnap

MC : Non, bien évidemment ! Pouvez-vous nous en dire plus sur le titre donné à votre recherche, La Houle ?

LA : Ce nom féminin définit une oscillation régulière de la surface de la mer, indépendante du vent local, l’ondulation d’une foule. Lors de mes recherches sur l’évolution des droits des citoyennes – un domaine de connaissance nécessaire à la compréhension du quotidien des artistes de la collection –, les termes de « vague » et de « reflux » sont apparus de manière récurrente. De tout temps et partout en ce monde, les femmes ont souhaité être des citoyennes libres et égales en droits. La Houle illustre cette force, leur résistance et leur indépendance, leurs victoires civiques et sociales comme les contrecoups de l’histoire, les répressions et le déni des classes dominantes.

MC : Les pourcentages des acquisitions montrent une progression très lente. C’est aussi pour cela que le terme semble bien trouvé. Quelles ont été vos principales surprises lors de l’analyse de ces données ?

LA : Quand j’ai étudié la courbe d’acquisition d’œuvres réalisées par des artistes femmes, j’ai été particulièrement étonnée par la discontinuité de sa croissance. Sa moyenne mobile est sinusoïdale, irrégulière, en constante variation. Les amplitudes maximales – les années au cours desquelles les proportions d’acquisition d’œuvres d’artistes femmes ont été hautes – sont suivies de sévères décroissances.

Nil Yalter, La Femme sans tête, 1975, vidéo, 24’47’’, Centre national des arts plastiques, ©  Nil Yalter, © Cnap

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Nil Yalter, La Femme sans tête, 1975, vidéo, 24’47’’, Centre national des arts plastiques, ©  Nil Yalter, © Cnap

Lorna Simpson, Cloudscape, 2004, vidéo, 3’34’’, Centre national des arts plastiques, © Droits réservés, © Cnap

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Lorna Simpson, Cloudscape, 2004, vidéo, 3’34’’, Centre national des arts plastiques, © Droits réservés, © Cnap

En voici une brève exploration : des années 1830 aux années 1860 la moyenne d’acquisition d’œuvres d’artistes femmes par l’État, d’environ 16 %, est relativement stable. On découvre dans la collection des artistes connues ayant remporté de nombreuses médailles, telles Hortense Haudebourt-Lescot (1785-1849), Augusta Lebaron-Desves (1804-?) et Nélie Jacquemart (1841-1912). Cette moyenne décline cependant par la suite et n’est plus que de 4,6 % entre 1880 et 1895. Les peintres et sculptrices sont toutefois présentes dans les salons : Virginie Demont-Breton (1859-1935) reçoit une médaille d’or à l’Exposition universelle d’Amsterdam de 1883, Jeanne Itasse (1865-1941) obtient une médaille aux Expositions universelles de Chicago en 1893 et de Paris en 1900 et, lors l’Exposition universelle de 1889, une médaille d’or est décernée à Hélène Bertaux (1825-1909), pour ne citer que trois des artistes figurant dans la collection.

La courbe croît ensuite de nouveau lentement pour atteindre une moyenne proche de 15 % durant les années 1930, puis retombe à 9,5 % sous le gouvernement de Vichy. On observe une nouvelle hausse, à 15,5 %, entre 1945 et 1960, puis un nouveau déclin, à 11 %, entre 1960 et 1968. La partialité des politiques sociales et culturelles a été sans conteste l’un des facteurs déclencheurs de l’esprit militant de jeunes artistes. Je pense à la génération entrée dans la vie active durant ces années 1960 et années 1970, par exemple les artistes Marina Abramović, Eleanor Antin, Jenny Holzer, Lea Lublin, Yoko Ono, ORLAN, Annette Messager, Tania Mouraud, Nicola L., Gina Pane, Martha Rosler, Niki de Saint Phalle, Shigeko Kubota, Nil Yalter

Entre 1968 et 1985, la proportion remonte à 18,6 %, puis chute de nouveau à la fin des années 1980, avec un nombre minimum de 4,6 % en 1988. L’engagement de nombreuses artistes apparues dans ce creux des années 1980 et des années 1990 est tout aussi évocateur. Je pense alors, pour n’en citer que certaines, à Martine Aballéa, Ghada Amer, Vanessa Beecroft, Barbara Kruger, Mariko Mori, Chloe Piene, Cindy Sherman, Lorna Simpson, Jana Sterbak, Rosemarie Trockel

Depuis l’an 2000, la proportion est de 24 %, avec une performance à 50 % en 2014. Les variations de ces pourcentages permettent de saisir un état d’esprit. On y déchiffre en filigrane l’influence des politiques et des mentalités sociales sur l’émancipation des femmes. Cela nous aide à analyser l’évolution des arts et du marché en Occident à différents moments. Lorsqu’on observe les périodes basses et ces grandes artistes qui ont réussi à faire leur chemin, on comprend qu’elles ont dû avoir une force colossale et être extrêmement talentueuses pour franchir toutes les limites auxquelles elles étaient soumises.

MC : Une question se pose : sommes-nous à l’abri d’un nouveau déclin ?

LA : Cette réflexion est abordée en conclusion de ma recherche. D’après mon analyse et eu égard à l’évolution géopolitique mondiale actuelle, il me semble que la promulgation d’une loi imposant des quotas de représentation des genres aux institutions culturelles bénéficiaires de fonds publics constituerait une protection. Redouter l’influence des quotas sur la qualité des œuvres alors qu’il existe tellement de grandes artistes femmes ne me paraît pas justifié.

J’aimerais aussi évoquer ici ma relative surprise quant au manque d’artistes africaines ou de la diaspora dans la collection. Leur présence fait malheureusement défaut alors même que l’histoire de la France et celle du continent africain sont particulièrement liées. Ces femmes sont confrontées à une double discrimination qui persiste dans le monde de l’art comme dans nos sociétés.

MC : Vous écrivez qu’il s’agit d’une recherche sans fin et qu’il serait utopique de penser pouvoir tout croiser. Avez-vous eu accès par exemple à des éléments permettant de comparer l’âge des artistes au moment de l’acquisition de leurs œuvres ? Y a-t-il des différences selon les genres ?

LA : Je ne me suis pas penchée sur l’âge des artistes lors de l’acquisition de leurs œuvres. Il est cependant important de noter que certaines des pièces de la collection ont été achetées après le décès des artistes, la grande majorité l’étant toutefois de leur vivant.

JP : Lors des dernières commissions d’acquisition, des œuvres d’artistes de différentes générations ont été achetées : cela va de Simone Fattal (née en 1942) à Mimosa Echard (née en 1985), pour ne citer que deux récents exemples.

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Louise Bourgeois, Seamstress/Mistress/Distress/Stress, 1995, encre et jarretières cousues sur mouchoir dans une boîte en bois, 3,3 x 33,3 x 33,3 cm, Centre national des arts plastiques, © The Easton Foundation, © ADAGP, Paris, © Cnap, © Photo : Yves Chenot

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Hito Steyerl, November, 2004, vidéo, 25’, Centre national des arts plastiques, © ADAGP, Paris, © Cnap, © Photo : Galerie In Situ / Fabienne Leclerc

MC : Liberty, vous avez également tenu à étendre votre recherche à différentes disciplines. Avez-vous relevé davantage d’acquisitions d’œuvres d’artistes femmes dans certains domaines, dans les arts textiles ou la photographie par exemple ?

LA : Dans la collection, pour ce qui relève des arts textiles, quelque 56,3 % des artistes sont des femmes. Dans le domaine des nouveaux médias, cette proportion est d’environ 35 % ; dans celui de la photographie à peu près 25,7 % et dans celui de la peinture environ 20 %. Dans le domaine de la sculpture, 15 % seulement des artistes sont des femmes.

MC : Quelle(s) suite(s) possible(s) pour La Houle, après avoir présenté la synthèse de votre recherche au Cnap ?

LA : De nouvelles questions se sont posées : quels prolongements pourrait-on donner à cette étude pour assurer une large diffusion de ces œuvres auprès du grand public ? Quelles méthodes curatoriales pourrait-on développer pour transmettre ces savoirs ?

Grâce aux nouveaux outils numériques, nous sommes aujourd’hui capables de diffuser des connaissances auprès d’un public extrêmement large. Le prolongement de mon étude sera donc, en premier lieu, de présenter un corpus virtuel de 228 œuvres (car la collection a 228 ans à ce jour) dans la base de données des collections en ligne du Cnap.

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Shirley Jaffe, New York, 2001, huile sur toile, 250 x 170 cm, Centre national des arts plastiques, © ADAGP, Paris, © Cnap, © Photo : Nathalie Obadia

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Germaine Richier, Coureur, vers 1955, bronze, hauteur : 192 cm, Centre national des arts plastiques, © ADAGP, Paris, © Cnap, © Photo : Fabrice Lindor

JP : Nous allons en effet créer dans la base de données de la collection en ligne un dossier dédié à « 228 ans d’acquisitions d’artistes femmes », dont Liberty Adrien assurera le commissariat numérique. Une base de données offre un accès à de très nombreuses informations mais le principe est que l’on y trouve uniquement ce que l’on cherche, donc ce que l’on connaît déjà. Constituer une vitrine, mettre au premier plan des artistes, qu’elles soient très connues ou inconnues, nous paraît donc vertueux à tous les égards. Dans l’impulsion de cette recherche et parallèlement au partenariat entre le Cnap et le prix AWARE, nous entamons une collaboration avec AWARE. Nous allons établir des renvois entre le répertoire de notices biographiques nourri par l’association et notre base de données.

LA : Cela a été compliqué, presque terrible, de réduire ma synthèse d’un corpus de 650 à 228 œuvres. J’ai essayé de présenter dans une même proportion les périodes historique, moderne et contemporaine, de faire connaître des artistes de plusieurs nationalités et différents langages. Ce corpus virtuel, accessible de façon permanente sur le site du Cnap, comme ce précieux partenariat avec AWARE seront les premières pierres de l’édifice. Ces initiatives vont être accompagnées par la diffusion d’une sélection d’œuvres de la collection sur les réseaux sociaux, ainsi que par la présentation de ma recherche lors de tables rondes et dans des universités en France et à l’étranger. Je suis toujours à l’affût de nouvelles occasions et de nouveaux partenariats permettant de mettre en avant ces artistes et d’attirer l’attention d’un large public. Je prépare par exemple, pour l’Institut français de Berlin en 2020, un projet d’exposition d’œuvres vidéo d’artistes femmes, provenant de différentes collections françaises, qui explorent les perceptions contemporaines de la relation entre l’homme et la nature.

 

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Pour plus d’informations : http://www.cnap.fr/http%3A/%252Fwww.cnap.fr/appel-projet-2019-bourses-de-recherche-curatoriale-du-cnap.

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Pour citer cet article :
Liberty Adrien, Juliette Pollet & Marie Chênel, « La Houle : une première recherche sur la place des femmes dans les collections du Centre national des arts plastiques » in Archives of Women Artists, Research and Exhibitions magazine, [En ligne], mis en ligne le 11 décembre 2019, consulté le 29 mars 2024. URL : https://awarewomenartists.com/magazine/la-houle-une-premiere-recherche-sur-la-place-des-femmes-dans-les-collections-du-centre-national-des-arts-plastiques/.

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