Ulrike Rosenbach, Die Einsame Spaziergängerin [la poussette solitaire], 1979, performance, photographie, © ADAGP, Paris
Avant de devenir un médium à part entière, la vidéo était intrinsèquement liée à la télévision. Il faut attendre le début des années 1960 et notamment l’invention en 1965 du Portapak Sony – première caméra portative – pour qu’elle prenne son indépendance vis-à-vis de la transmission télévisée et de ses plateaux. Il devient alors possible de filmer partout, et les artistes se saisissent de cette technique.
Les premières utilisations de l’image électronique comme médium artistique apparaissent au sein du mouvement Fluxus. En mars 1963, Nam June Paik (1932-2006) réalise une distorsion de l’image télévisée en approchant un aimant du tube cathodique. Cette œuvre marque la naissance de l’art vidéo, et, dès lors, de nombreuses artistes femmes s’en emparent et participent à son développement. VALIE EXPORT (née en 1940) infiltre dès 1971 le monde télévisuel en interrogeant, dans Facing a Family, les liens entre regardant·e et regardé·e. Ulrike Rosenbach (née en 1943) est une des premières vidéastes à réaliser des pièces en circuit fermé, filmant et projetant des images en même temps. Les performeuses Marina Abramović (née en 1946) et Leda Papaconstantinou (née en 1945) immortalisent leurs actions dès la fin ses années 1960, modifiant le rapport à l’éphémère de leurs œuvres. Dès 1972 – et jusqu’en 1980 – se tient le Women’s Video Festival dans l’espace d’exposition The Kitchen à New York mettant en lumière des vidéastes encore sous-représentées, comme la japonaise Shigeko Kubota (1937-2015), membre du groupe Fluxus.
L’art vidéo ouvre un nouvel univers d’expérimentations de l’image, cette dernière peut être modelée : elle est manipulable ou effaçable, avec ou sans archivage. Nan Hoover (1931-2008) s’intéresse aux potentialités de la transparence, produisant des pièces entre peinture et film. Dóra Maurer (née en 1937) travaille la répétition et la variation en créant des composition complexes d’images et de sons.
À la fois outil de création et de contestation, la vidéo devient un moyen de réagir aux mouvements artistiques dominants des années 1960. Joan Jonas (née en 1936) réalise ses œuvres dans une démarche introspective, narrative et symbolique, en rupture avec la distanciation de l’art minimal. Carolee Schneemann (née en 1938) dans Up and Including Her Limits (1973) dessine au gré des mouvements de son corps suspendu lors d’une performance filmée et retransmise sur des moniteurs. L’artiste y met en scène une gestualité proche de l’action painting, mais s’en éloigne en considérant les dessins obtenus comme secondaires, posant la question des rapports entre processus créatif et œuvre finale.
Comme la photographie, la caméra s’impose à son tour en médium privilégié de visibilité et de dénonciation des oppressions. Martine Barrat (née en 1937) réalise une série de vidéos sur la vie de membres de gangs du South Bronx. Dans son installation La Roquette, Prisons de femmes, Nil Yalter (née en 1938), en collaboration avec Judy Blum (née en 1943) et Nicole Croiset, dénonce les conditions carcérales. Howardena Pindell (née en 1943) aborde les questions de race et de genre, et Anna Maria Maiolino (née en 1942) dénonce la censure des femmes au Brésil. Quant au duo de cinéastes Maria Klonaris (1947-2014) et Katerina Thomadaki (née en 1947), elles théorisent ce qu’elles nomment le cinéma corporel en faisant du corps et de l’identité féminine un lieu d’exploration plastique et politique. Ainsi, la vidéo, au service de diverses causes militantes, devient un instrument subversif du patriarcat. Dès 1976, le collectif de vidéastes françaises Les Insoumuses proclame dans la vidéo Maso et Miso vont en bateau : « Aucune image de la télévision ne peut nous incarner, c’est avec la vidéo que nous nous raconterons. »
La vidéo a été massivement investie par les artistes femmes. De nombreux écrits rappellent encore leur place dans l’histoire de l’art et les convergences entre le médium et les luttes politiques et féministes. Les ouvrages collectifs Black women film and video artists (1998), édité par Jacqueline Bobo, et Women Artists, Feminism and the Moving Image : Contexts and Practices (2019), dirigé par Lucy Reynolds, constituent des jalons importants de la recherche sur les femmes vidéastes.